Enquête sur la mort du journaliste palestinien Imad Abu Zahra
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Introduction
Le 11 juillet 2002, dans le centre-ville de Jénine, en Cisjordanie, le photographe palestinien Imad Abu Zahra (voir photo), âgé de 34 ans, est blessé par balle à la jambe. Lors du même incident, un autre journaliste palestinien, Saïd Dahla, est également touché. Imad Abu Zahra décédera le lendemain à l'hôpital de Jénine des suites de sa blessure.
A la demande conjointe de Reporters sans frontières et du réseau Damoclès, Nadette de Visser, journaliste indépendante de nationalité hollandaise basée à Jérusalem, a mené, du 19 au 25 juillet 2002, une enquête à Jénine pour faire la lumière sur cet événement. Cette journaliste a été assistée dans son enquête de terrain par un traducteur afin de recueillir le récit des témoins oculaires palestiniens. L'enquêtrice a également interrogé quatre volontaires internationaux présents sur les lieux juste après les tirs. Ces observateurs étrangers en mission ont tourné, peu après qu'Imad Abu Zahra a été blessé, un film de dix minutes qui fournit plusieurs éléments d'information. Enfin, les autorités israéliennes ont été sollicitées à diverses reprises (par courrier et téléphone) afin de donner leur version des faits. Une déclaration officielle de l'armée israélienne est ainsi intégralement reproduite dans ce rapport. Au total, les témoignages de dix personnes ont été recueillis sur les circonstances de ce drame.
Quelle est la provenance des tirs qui ont touché Imad Abu Zahra ? Celui-ci était-il clairement identifiable en tant que journaliste ? Quelle était la situation dans les rues de Jénine au moment de l'incident ? Les secours ont-ils été empêchés d'approcher les blessés et de leur porter assistance ? C'est à ces questions qu'a tenté de répondre cette enquête. Bien qu'elle vise à établir les conditions de la mort d'Imad Abu Zahra, elle prend également en compte le cas de son confrère blessé le même jour, Saïd Dahla.
Un conflit toujours plus violent
Au 5 août 2002, le conflit israélo-palestinien a fait, selon l'Agence France-Presse, 2 420 morts dont 1 779 du côté palestinien et 598 du côté israélien (les morts étrangers ne sont pas comptabilisés dans les nombres de morts du côté palestinien et du côté israélien mais seulement dans le nombre total). L'agence Reuters donne, quant à elle, les chiffres de 2 067 victimes dont 1 482 du côté palestinien et 585 du côté israélien.
La ville palestinienne de Jénine n'a pas été épargnée. Elle était sous le feu de l'actualité début avril suite à une offensive de Tsahal nécessitée, selon les autorités israéliennes, par la présence, dans son camp, de personnes impliquées dans des attentats contre des civils israéliens. Suite à la vive polémique qu'a entraînée cette intervention (massacre ou pas massacre ?), l'organisation Human Rights Watch, dans un rapport publié en mai 2002 (Voir le rapport de Human Rights Watch : "Jenin: IDF military operations" - May 2002). rejetait les accusations de massacre mais dressait un lourd bilan des opérations. Selon l'organisation "l'enquête a révélé de graves violations du droit humanitaire international dont certaines constitueraient prima facie des crimes de guerre". L'association a relevé la mort imputable aux combats de cinquante-deux Palestiniens dans le camp et dans ses environs. Au moins vingt-deux personnes parmi ces morts étaient des civils, dont des enfants, des handicapés physiques ou des vieillards.
Le 11 juillet, date à laquelle Imad Abu Zahra a été blessé, l'entrée des tanks à Jénine s'inscrivait dans le cadre de l'opération militaire israélienne "Voie ferme", lancée le 19 juin.
et un climat de détérioration de la liberté de la presse
Depuis le début de la deuxième Intifada et surtout depuis le 29 mars 2002, début de l'incursion de l'armée israélienne dans les villes palestiniennes, la situation de la liberté de la presse s'est dégradée comme jamais dans l'histoire de l'Etat d'Israël. Des dizaines de cas de journalistes arrêtés, menacés, malmenés, entravés dans leurs déplacements, expulsés, blessés ou encore privés de leurs accréditations ou de leurs passeports ont été recensés par Reporters sans frontières. Alors que l'Etat d'Israël a signé et ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l'article 19 garantit la "liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations", l'armée israélienne s'est employée, sur le terrain, à empêcher les journalistes de couvrir librement ses opérations. Depuis septembre 2000, Reporters sans frontières a comptabilisé 46 journalistes blessés par balles. Dans une grande majorité de ces affaires, l'organisation a pu affirmer, après des enquêtes sur le terrain, que ces tirs étaient d'origine israélienne. Plusieurs journalistes ont été sérieusement blessés. Certains étaient pourtant clairement identifiables et se trouvaient à l'écart des affrontements lorsqu'ils ont été touchés. La plupart étaient des Palestiniens. A de rares exceptions, aucune enquête sérieuse n'a été menée et très peu de sanctions ont été prises à l'égard des auteurs des tirs, même lorsque les responsabilités étaient évidentes comme pour le cas du correspondant de TF1, Bertrand Aguirre, blessé le 15 mai 2001 à Ramallah. Le 13 mars 2002, Raffaele Ciriello (voir photo), envoyé spécial du quotidien italien El Corriere della Sera à Ramallah, est décédé après avoir été atteint de balles tirées par des soldats israéliens à partir d'un char situé près de la place Al Manara, au centre-ville. Le 23 août 2002, l'armée israélienne niait toute responsabilité dans la mort de Raffaele Ciriello. Elle déclarait qu'elle n'avait "aucune preuve (…) qu'une force (armée) avait tiré en direction du journaliste".
Imad Abu Zahra, mort à l'âge de trente-quatre ans
Né en juillet 1967, Imad Abu Zahra avait suivi des études de tourisme en 1991 puis de journalisme à l'université de Birzeit en 1997-1999. Lorsque la deuxième Intifada éclate en septembre 2000, Imad Abu Zahra gagne sa vie en travaillant dans un restaurant à Tel-Aviv. Il a alors dû abandonner cet emploi à cause, notamment, des problèmes de circulation entre les villes palestiniennes et Israël.
D'après son CV (voir le CV d'Imad Abu Zahra ci-dessous), il a travaillé, de 1991 à 2001, comme journaliste free-lance pour des journaux locaux. En 1997, il avait créé une station de radio FM à Jénine, nommée Al-Ahlam. Il éditait également à l'époque un journal nommé Jénine. Selon ses parents, cette publication avait été fermée après son sixième numéro par l'Autorité palestinienne qui s'y trouvait souvent critiquée. Imad Abu Zahra était détenteur d'une carte de presse délivrée par l'Autorité palestinienne et, jusqu'en 1996, d'une carte délivrée par le bureau de presse gouvernemental israélien. D'après les témoignages de proches et de journalistes étrangers, il travaillait essentiellement comme "fixer". Ce terme est habituellement employé pour désigner une personne qui récolte des informations, sert de guide et d'interprète pour la presse étrangère.
Quelle était la provenance des tirs ? Etaient-ils justifiés ?
Si les différentes versions des faits divergent sur certains points, l'origine israélienne des tirs peut être établie avec certitude : elle est reconnue à la fois par l'armée et les témoins.
Le 11 juillet 2002, alors que deux tanks et un APC, véhicule blindé de transport de troupes (APC signifie en anglais "Armored Personnal Carrier", c'est-à-dire un véhicule blindé de transport de troupes) entrent dans la rue du roi Fayçal, ce dernier percute un poteau électrique, ce qui l'immobilise entre les deux tanks (voir le schéma).
Il est entre 14 heures et 14 heures 30 lorsque les tirs sont déclenchés.
Selon l'armée, qui omet d'indiquer la présence des deux chars, les tirs étaient justifiés par la nécessité de riposter, et provenaient de l'APC :
"Le 11 juillet 2002, un véhicule blindé est entré dans Jénine à la recherche d'un terroriste qui aurait été localisé dans la zone. Durant l'opération de recherche, le véhicule blindé a percuté un poste électrique puis a été immobilisé. Des émeutiers palestiniens ont utilisé cette opportunité pour jeter des cocktails Molotov, des pierres et d'autres objets sur le véhicule. Immédiatement après, le véhicule a essuyé des tirs. Les soldats des forces de défense israéliennes ont engagé des tirs d'avertissement en l'air, puis ont riposté aux tirs des émeutiers."
Selon l'ensemble des témoins oculaires, les tirs sont partis du tank N°1 (voir le schéma) alors que rien ne pouvait le laisser présager.
"Le 11 juillet, après la levée du couvre-feu, je suis allé dans la rue du roi Fayçal et me tenais à l'extérieur du magasin d'un de mes amis. J'ai vu Saïd Dahla et Imad Abu Zahra. Je les connais comme journalistes puisqu'ils filment souvent dans le coin. Soudain, on a été surpris par l'arrivée de tanks israéliens dans la rue centrale de la ville. C'était calme. Imad et Saïd se sont approchés dans la rue opposée et ont pris des photos. Les soldats du tank ont alors, sans avertissement, ouvert le feu en direction des journalistes." (Mir'i Qabbha, jeune Palestinien de 17 ans qui a secouru Imad Abu Zahra)
D'après la disposition des trois véhicules de l'armée, il semble plus logique de penser que les tirs sont bien partis du tank n°1 et non de l'APC (voir le schéma). Cependant, sans une expertise balistique, il est impossible de l'affirmer avec certitude.
En revanche, grâce au film et à l'ensemble des témoignages, il est possible d'affirmer qu'aucun affrontement n'avait lieu au moment des faits.
"J'étais à mon bureau, au premier étage, au-dessus du marché. Vers
14 heures, j'ai vu par la fenêtre de mon bureau les gens s'enfuir du marché en courant. En quelques minutes, le marché était vide. Trois chars sont arrivés dans la rue, mais jusque-là aucun tir n'avait encore retenti." (Le père de Saïd Dahla)
Un observateur canadien, Muhammed Loubany, en mission à Jénine ce jour-là, corrobore le témoignage précédent et ajoute que la seule menace provenait d'un individu mentalement retardé situé dans la direction opposée (près du tank n°2) :
"J'ai vu les chars et l'APC arriver dans le quartier. Au bout de quatre ou cinq minutes de manœuvres, l'APC a touché la ligne d'alimentation électrique en cherchant à faire un vaste demi-tour. L'APC et les chars ont pris une position défensive, alors que l'APC semblait bloqué. À ce moment-là, un fou s'est mis à jeter des pierres à l'arrière des chars, puis des pastèques. Le char l'a tout d'abord ignoré puis a tiré des coups en l'air pour lui faire peur. Il n'y avait pas eu de tirs auparavant. L'homme n'a pas pris peur, il a marché avec le char et le char a commencé à cracher une épaisse fumée. Lorsque la fumée s'est dispersée, ils ont commencé à tirer. Ils ont procédé ainsi plusieurs fois. Une fois la fumée dispersée, ils se mettaient à tirer sur les murs, dans la rue. C'est à ce moment-là qu'Imad et Saïd ont dû se faire tirer dessus, de l'autre côté de la rue, car on entendait d'autres tirs." (Muhammed Loubany, volontaire canadien)
Une longue scène du film de Tobias Karlsson et Pete Blacker(toutes les références faites au film concernent celui réalisé par Tobias Karlsson et Pete Blacker) montre le "fou" gesticulant et jetant des objets sur le char. En revanche, on ne voit sur le film ni émeutiers, ni combattants palestiniens.
"Les tirs n'ont commencé qu'après la prise de position des chars. Un homme s'est mis à jeter des pastèques. Il en a lancé longtemps, avant même que les chars ne soient en position. Ils ont tiré deux séries de balles du côté de la Banque Arabe. Les tirs se sont arrêtés puis ont repris pendant un assez long temps. Je suis sûr et certain que tout a commencé à cause du fou qui jetait des pastèques." (Linus Gardell, volontaire)
Si des échanges de tirs ont eu lieu, ce n'est qu'après les blessures infligées aux deux journalistes comme l'indiquent les témoignages de Muhammed Loubany, volontaire canadien, et du cameraman de Reuters, Ali Samoudi.
"Lorsque les gens du quartier ont entendu que des journalistes avaient été touchés, ils ont commencé à jeter des pierres et des pastèques sur les chars. Au moment où nous sommes arrivés, personne encore ne jetait de pierres." (Ali Samoudi)
"Il vaut mieux éviter d'être dans les parages lorsque les chars commencent à cracher de la fumée, parce que s'ils tirent à travers la fumée, ils tirent sur n'importe quoi et il est facile de recevoir une balle. Plus tard, j'ai aussi entendu dire que des combattants palestiniens étaient en chemin." (Muhammed Loubany)
Selon les informations recueillies, les soldats reçoivent l'instruction de ne pas autoriser les gens à s'approcher des blindés, de crainte que ne soit lancée une grenade à main par la trappe. Il est donc permis de penser que les tirs du tank n°2 ne répondaient pas à une menace précise mais avaient plutôt pour but d'effrayer et d'éloigner le "fou".
D'après Saïd Dahla, les balles étaient tirées dans leur direction, vers le sol.
"Les balles étaient tirées au niveau de nos pieds. Nous nous sommes jetés à terre. J'ai réussi à m'échapper et j'ai vu Imad par terre, blessé à la jambe." (Saïd Dahla)
Ceci laisse à penser qu'Imad Abu Zahra, comme Saïd Dahla, a été visé non pas dans l'intention de le tuer mais d'empêcher quiconque d'approcher. Du fait de la largeur de l'ouverture de la plaie (15 x 7 cm) sur sa jambe droite, et parce que la balle est restée dans sa jambe après y avoir pénétré, la blessure ne résulterait pas d'un tir direct mais d'une balle ayant ricoché. Le calibre de la balle n'est pas indiqué dans le rapport des médecins.
Rien ne permet ainsi d'expliquer pourquoi les soldats israéliens ont ouvert le feu alors qu'au moment des faits, la rue était apparemment calme. N'y avait-t-il pas d'autres possibilités, pour les chars, de tenir les civils palestiniens éloignés de l'APC immobilisé (gaz lacrymogènes, sommation en l'air, levée du canon, etc.) ?
Il est clair que les tirs ont été dirigés vers les deux hommes alors qu'ils ne représentaient aucun danger pour les tanks. La seule personne qui aurait alors pu présenter une menace pour les militaires semble être ce "fou" qui se tenait dans la direction opposée aux journalistes.
Imad Abu Zahra et son confrère étaient-ils clairement identifiables ?
Les différents témoins s'accordent à dire que Saïd Dahla, blessé le même jour, au même endroit et au même moment, portait des vêtements qui l'identifiaient clairement comme journaliste. On constate effectivement sur les différentes photos ainsi que sur le film que l'inscription "Press" figure sur le devant ainsi qu'au dos du gilet pare-balles que porte Saïd Dahla .
"Je n'avais pris qu'une photo lorsque je me suis fait tirer dessus. Une balle a touché le sol et rebondi pour pénétrer au bas de ma jambe puis deux balles de 250 mm ont touché Imad. Nous portions tous les deux des gilets pare-balles flanqués du mot "Press" à l'avant et à l'arrière. Imad a retiré son gilet après avoir essuyé les coups de feu. Je ne sais pas ce qu'il est advenu du gilet." (Saïd Dahla)
Si le port d'un gilet pare-balles marqué "Press" est avéré dans le cas de Saïd Dahla, les faits sont beaucoup moins clairs concernant Imad Abu Zahra. Portait-il un gilet pare-balles ? Une simple veste marquée "Press" ? Un appareil photo ? Les témoignages divergent. La mère d'Imad Abu Zahra indique qu'il est parti sans gilet pare-balles mais avec ses appareils :
"Le 11 juillet, Imad a quitté la maison vers 9 heures et demie du matin. Il ne portait pas de gilet pare-balles car le couvre-feu avait été levé. Il a emporté deux appareils photo, dont l'un était autour de son cou."
De fait, Imad Abu Zahra ne possédait ni casque ni gilet pare-balles. Comme de nombreux journalistes palestiniens travaillant pour des médias locaux, il n'était pas en mesure de s'offrir ce type d'équipement très coûteux. Seul Saïd Dahla certifie qu'ils étaient tous deux munis de gilets pare-balles. Or, le gilet pare-balles qu'aurait porté Imad Abu Zahra n'a pas été retrouvé sur les lieux.
"Nous sommes arrivés sur la scène dix minutes après que Saïd et Imad avaient été blessés. J'ai vu l'appareil photo du frère de Saïd. Je n'ai pas vu l'appareil photo d'Imad, ni son gilet pare-balles." (Ali Samoudi, cameraman de Reuters)
Par ailleurs, ni le film ni les photos ne montrent qu'Imad Abu Zahra était identifiable en tant que journaliste. Seule une photo laisse planer un doute au sujet d'une veste marquée "Press". On y voit un jeune homme Mir'i Qabbha secourir Imad Abu Zahra. On distingue alors quelque chose dans ses mains qui pourrait ressembler à une veste. Sur le film, ce même jeune homme transporte un sac dont il prétend qu'il contenait du matériel photo appartenant à Imad Abu Zahra.
"Imad saignait abondamment et respirait avec difficulté. J'ai voulu lui enlever sa veste "Press" et son T. shirt, mais il a voulu que je lui enlève seulement la veste. C'était une veste normale avec juste un gros "TV" dessus. Je l'ai alors jetée par terre et je n'ai plus fait attention à elle. J'ai seulement pris son sac avec son matériel." (Mir'i Qabbha)
Ici, il n'est donc plus question de gilet pare-balles mais d'une simple veste.
De même, les témoignages divergent à propos du matériel photo. Selon sa mère, Imad Abu Zahra était sorti avec deux appareils photo, l'un autour du cou et l'autre dans un sac adapté. Le père de Saïd Dahla raconte, quant à lui, qu'Imad Abu Zahra avait un petit appareil photo de poche. On le lui a apporté, après les tirs, couvert de sang, mais il n'y a trouvé aucune pellicule. Il précise l'avoir remis à quelqu'un qui l'a rendu aux parents d'Imad Abu Zahra. Pourtant, ces derniers ont signalé la disparition de deux appareils photo, précisant que personne ne les leur avait rapportés.
Aucun appareil n'a été trouvé sur les lieux, que ce soit dans la rue ou dans le recoin où s'était réfugié Imad Abu Zahra. Il semble donc difficile de savoir si Imad Abu Zahra était réellement en possession d'un ou plusieurs appareils photo.
Selon plusieurs témoins, les deux journalistes se trouvaient l'un à côté de l'autre lorsque les tirs ont été déclenchés. Si la distance entre eux ne peut être évaluée avec exactitude, elle n'excédait pas quelques mètres.
"Mon fils Saïd était avec Imad. Ils se tenaient dans la rue, à quelque
15 mètres des chars pour les prendre en photo, et pour leur montrer qu'ils étaient journalistes. S'ils étaient partis se cacher, cela aurait semblé louche ; car souvent les gens jettent des pierres alors qu'ils sont dans des cachettes. Les chars ont commencé à leur tirer dessus, et Saïd est tombé par terre. Je ne suis pas sûr qu'Imad portait un gilet pare-balles." (Le père de Saïd Dahla)
"Au moment où les chars sont arrivés, j'ai traversé la rue pour retrouver Imad." (Saïd Dahla)
Les secours ont-ils été empêchés d'approcher les blessés ?
Hizan, ambulancier du Croissant Rouge, raconte qu'il a reçu un appel urgent indiquant que deux personnes étaient blessées par balle. Deux ambulances circulaient en ville mais aucune ne se trouvait proche des lieux. L'ambulancier Hizan a commencé à se diriger vers la rue du roi Fayçal. En chemin, il a été prévenu que les blessés étaient déjà arrivés à l'hôpital. Hizan s'est alors rendu directement à l'hôpital, où il a trouvé les deux hommes, cinq à dix minutes après avoir reçu l'appel.
En effet, le film montre comment Imad Abu Zahra blessé est conduit dans un taxi jaune palestinien qui s'éloigne des lieux en marche arrière, par une rue latérale perpendiculaire à celle où se trouvent encore les chars et où l'on entend encore des tirs.
Selon la version de Hizan, l'ambulance n'aurait pas été empêchée de se rendre sur place puisqu'elle a rebroussé chemin pour se rendre directement à l'hôpital. Dans ce cas, pourquoi l'armée israélienne a-t-elle reconnu officiellement qu'une ambulance n'avait pas été autorisée à se rendre sur les lieux en raison des "échanges de tirs" ?
La question de l'accès des secours aux blessés reste donc impossible à trancher. Est-ce parce que le transport en taxi a été plus rapide ou bien parce que les tirs de l'armée se sont prolongés qu'Imad Abu Zahra n'a pas été secouru immédiatement par une ambulance ?
Selon les dires des médecins notamment, la durée probable de l'incident a été de dix à quinze minutes entre le début des tirs qui ont blessé les deux journalistes et leur arrivée à l'hôpital, qui était proche. Toujours selon eux, il est impossible que l'incident ait duré plus de vingt minutes. Imad Abu Zahra n'aurait pas survécu à ses blessures et serait mort dans la rue. Si l'on en croit le médecin et l'ambulancier, la durée des événements telle qu'elle est rapportée par Saïd Dahla et son père semble improbable, voire impossible. Il n'est pas rare qu'une telle expérience fausse la notion du temps. Comme le montre le film, les tirs ont continué entre le moment où les journalistes ont été blessés et celui où un taxi est venu les chercher. Il est néanmoins impossible, d'après les images, d'en déterminer la source ni la direction. Les tirs ont pu empêcher les personnes venant secourir les blessés de faire le nécessaire plus rapidement. La blessure étant extrêmement grave, on peut se demander si Imad Abu Zahra aurait pu être sauvé. Néanmoins, les informations recueillies auprès des médecins ne permettent pas d'en juger.
Les réactions successives de l'armée israélienne
Le 11 juillet 2002, un porte-parole de l'armée israélienne a déclaré à l'agence Reuters que des soldats avaient tiré après que deux véhicules blindés étaient tombés en panne après avoir percuté un poteau électrique, entraînant un rassemblement de Palestiniens en colère et armés. "La foule jetait des pierres, des bombes incendiaires et des fruits sur les véhicules, et des hommes armés ont également tiré sur eux" a-t-il précisé. "Nos troupes n'avaient pas d'autre choix que de répondre aux tirs".
Le lendemain, un porte-parole de l'armée israélienne a précisé à l'Agence France-Presse qu'une enquête était en cours pour déterminer si la mort du journaliste était liée à ces événements.
Le même jour, un militaire israélien a affirmé à Associated Press qu'il n'apparaissait pas clairement que l'armée ait touché quelqu'un durant ces "échanges de feu". Il a ajouté qu'il était possible qu'un tir palestinien ait tué le photographe.
Lors d'une déclaration au quotidien Haaretz, un porte-parole de l'armée a, quant à lui, fourni cette version : "Le 11 juillet, un véhicule militaire est entré dans Jénine suite à une alerte terroriste. Pendant la poursuite, le véhicule a accidentellement heurté un poteau électrique, ce qui a entraîné son immobilisation. Des Palestiniens ont alors jeté des cocktails Molotov, des pierres et divers objets sur le véhicule. Des tirs ont été dirigés vers lui. Les soldats ont répondu par un feu constant en direction de la source des tirs et ont lancé un tir d'avertissement en l'air. Durant cet échange, l'entrée de l'ambulance a été retardée. Une fois les tirs terminés, elle a été autorisée à entrer." (voir déclaration tirée de l'article de Gideon Levy dans Haaretz, daté du 26 juillet 2002)
Le 19 août 2002, suite aux demandes répétées de Reporters sans frontières et du réseau Damoclès, une réaction officielle a été fournie par l'armée. Celle-ci est intégralement reproduite ci-dessous.
"Le 11 juillet 2002, un véhicule blindé est entré dans Jénine à la recherche d'un terroriste qui aurait été localisé dans la zone. Durant l'opération de recherche, le véhicule blindé a percuté un poste électrique puis a été immobilisé. Des émeutiers palestiniens ont utilisé cette opportunité pour jeter des cocktails Molotov, des pierres et d'autres objets sur le véhicule. Immédiatement après, le véhicule a essuyé des tirs.
Les soldats des forces de défense israéliennes ont engagé des tirs d'avertissement en l'air puis ont riposté aux tirs des émeutiers. En raison d'un échange de feu continu, une ambulance n'a pas pu accéder sur les lieux.
Une cassette vidéo visionnée par les forces de défense israéliennes illustre le désagrément de cette opération et n'apporte aucune lumière nouvelle sur l'incident. La cassette n'identifie pas la personne blessée comme un journaliste qui ne porte pas de gilet pare-balles.
Les forces de défense israéliennes, dans le cadre de leur guerre contre le terrorisme, sont obligées de faire face quotidiennement à des situations difficiles et compliquées. La présence d'équipes de médias au milieu de zones de combats en accentue la complexité. Malgré cela, les forces de défense israéliennes font leur maximum pour éviter de porter atteinte au personnel des médias afin de permettre une couverture de la presse fiable et ouverte." (Département des relations publiques de l'I.D.F. - Israeli Defense Forces, armée israélienne)
Conclusions
En l'absence d'une version détaillée des faits fournie par les autorités israéliennes et de la divergence, parfois, des témoignages recueillis, l'établissement des faits s'est révélé difficile. Toutefois, il est permis d'avancer avec certitude les conclusions suivantes :
- Ces sont des tirs israéliens qui ont touché les deux journalistes.
- Le 11 juillet 2002, le couvre-feu avait été levé à Jénine pour la journée. Aux alentours de 14 heures – 14 heures 30 lorsque Imad Abu Zahra et Saïd Dahla sont blessés, aucun affrontement n'avait lieu dans la rue dans laquelle ils se trouvaient. S'il est certain qu'au même moment, juste avant ou juste après les premiers tirs, un attardé mental se trouvait dans cette rue et provoquait les chars en leur jetant des objets, celui-ci se trouvait dans l'axe opposé aux journalistes.
- Rien ne permet d'affirmer qu'Imad Abu Zahra était identifiable comme journaliste lorsqu'il a été blessé. En revanche, il était accompagné, à quelques mètres seulement, par Saïd Dahla qui portait un gilet pare-balles mentionnant "Press" dans le dos et sur le ventre.
- Rien non plus ne permet d'affirmer que les tirs avaient pour intention de tuer les deux hommes. En revanche, nul doute qu'ils étaient dirigés vers eux, au moins pour les intimider. Mais pourquoi les intimider ? Les deux civils, dont l'un habillé en journaliste, ne représentaient aucun danger pour les tanks.
- Il est impossible de dire qu'une ambulance a été empêchée de se rendre sur les lieux. On peut, en revanche, souligner que, entre le moment où les deux hommes ont été blessés et le moment où un taxi les a emportés vers l'hôpital, les tirs ont continué.
- Il est légitime de s'interroger sur le sérieux de l'investigation menée par l'armée israélienne et sur sa motivation. En effet, il s'avère que, lors de l'enquête que l'armée israélienne a déclaré ouvrir le lendemain, aucun des témoins n'a été interrogé. Cette façon pour le moins superficielle de mener l'enquête contraste avec les suites très rapides données à l'incident survenu à deux journalistes et un militant des droits de l'homme israéliens, à Tulkarem, le 11 août. Un taxi qui transportait ces trois personnes, dont Gideon Levy, éditorialiste du quotidien Haaretz, avait été touché par balles dans la ville de Tulkarem, alors sous couvre-feu. Les occupants n'avaient pas été blessés. Pourtant, dès le lendemain, l'armée annonçait qu'un soldat avait été condamné à 35 jours d'arrêt et un officier à 21 jours de prison avec sursis.
Recommandations
Au terme de cette enquête et des conclusions que les deux organisations en ont tirées, Reporters sans frontières et le réseau Damoclès adressent les recommandations suivantes :
1) Les autorités israéliennes doivent rendre publique l'enquête qu'elles ont déclaré avoir ouverte sur la blessure d'Imad Abu Zahra qui a conduit à son décès. Les responsabilités qui auront été établies doivent être connues du grand public, et en particulier des responsables militaires dans les Territoires occupés. Une telle information peut jouer un rôle préventif. Les autorités israéliennes s'étaient engagées, sur ce point précis, auprès de Reporters sans frontières. "C'est notre intention de rendre les conclusions accessibles une fois le travail de vérification achevé, et après leur communication aux principaux intéressés (les journalistes victimes des incidents, les médias pour lesquels ils travaillent, l'Association de la presse étrangère…)" Déclaration extraite du rapport de Reporters sans frontières " ("Etude sur 45 cas de journalistes blessés par balles
dans les Territoires occupés depuis septembre 2000", août 2001)
2) Les autorités israéliennes doivent inclure dans l'enquête sur la blessure d'Imad Abu Zahra, le cas de son collègue Saïd Dahla, blessé le même jour, au même endroit.
3) Si la responsabilité de membres des forces israéliennes devait être établie, des sanctions doivent être prises. Ces sanctions doivent s'appliquer au soldat qui a eu recours à un usage excessif de la force par rapport à la menace, ainsi qu'à l'officier qui l'encadrait. Sur ce point également, des assurances avaient été données : "Il va de soi que s'il était établi, après vérification des faits, qu'un membre des forces israéliennes a blessé un journaliste, l'autorité hiérarchique dont il relève mettrait en œuvre les sanctions prévues par la loi et les règlements applicables. Toutefois, le mode de traitement de la faute et l'évaluation de l'étendue des responsabilités (le membre des forces israéliennes impliqué, ses supérieurs hiérarchiques…) restent à la discrétion de l'administration dont il dépend." ("Etude sur 45 cas de journalistes blessés par balles
dans les Territoires occupés depuis septembre 2000", août 2001)
4) Si des sanctions sont prises, les autorités israéliennes doivent les rendre publiques. La publicité faite autour de ces sanctions est de nature à dissuader d'autres fautes de même nature parmi les forces israéliennes. C'est le seul moyen de briser le sentiment d'impunité qui domine actuellement parmi les soldats israéliens.
5) Les autorités israéliennes doivent respecter le droit international humanitaire relatif à la conduite des hostilités, qui intime de distinguer, quelles que soient les circonstances, les objectifs militaires des personnes civiles.
6) Les autorités israéliennes doivent garantir, à la population palestinienne et ce, en respect du droit international humanitaire, l'accès à l'assistance humanitaire telle que le prévoit la IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. A ce titre, les autorités ne doivent pas entraver le secours aux blessés.
Les témoignages
Les témoins de la scène
Saïd Dahla, photographe de WAFA (agence de presse officielle palestinienne) (voir son emplacement sur le schéma)
"J'avais rendez-vous avec Imad Abu Zahra entre 14 heures 30 et 15 heures. Je me trouvais alors au bureau, de l'autre côté de la rue. Nous étions debout dans la rue, en face des chars, et nous prenions des photos. Imad avait son appareil et moi le mien.
Nous attendions le signal du canon du char pour savoir ce que nous devions faire. S'ils pointent le canon vers le bas, il faut se cacher ; s'ils le pointent en l'air vers le ciel, il faut quitter la zone. S'ils pointent le canon en haut et puis en bas plusieurs fois, il faut soulever sa chemise pour prouver qu'on n'a pas de ceinture explosive, ou autre équipement similaire. S'il n'y a aucun signal, en général, on a le droit de s'approcher tout près des chars.
Ils n'ont donné aucun signal. Rien ne se passait, personne ne jetait de pierres ou autres. Nous étions seuls dans la rue. Au moment où les chars sont arrivés, j'ai traversé la rue pour retrouver Imad. Je n'avais pris qu'une photo lorsque je me suis fait tirer dessus. Une balle a touché le sol et rebondi pour pénétrer au bas de ma jambe puis deux balles de 250 mm ont touché Imad.
Nous portions tous les deux des gilets pare-balles flanqués du mot "PRESS" à l'avant et à l'arrière. Imad a retiré son gilet après avoir essuyé les coups de feu. Je ne sais pas ce qu'il est advenu du gilet. Les balles étaient tirées au niveau de nos pieds. Nous nous sommes jetés à terre. J'ai réussi à m'échapper et j'ai vu Imad par terre, blessé à la jambe. Environ une demi-heure plus tard, des étrangers et Ali Samoudi sont arrivés. Puis mon petit frère a essayé d'aider Imad, et les forces de défense israéliennes ont recommencé à tirer.
Imad tenait un petit appareil photo dans sa main et portait également un autre appareil dans son sac. Plus tard, des gens sont venus nous aider et nous ont emmenés à l'hôpital. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de l'appareil photo. Ce jour-là, nous ne travaillions pour personne en particulier. Imad a mis un quart d'heure pour aller de la rue du marché à la cachette au coin de la rue où nous sommes restés dix minutes avant d'en sortir et de monter dans le taxi qui nous a conduits à l'hôpital."
Le père de Saïd Dahla, propriétaire d'une société de taxis à Jénine (voir son emplacement sur le schéma)
"J'étais à mon bureau, au premier étage, au-dessus du marché. Vers 14 heures, j'ai vu par la fenêtre de mon bureau les gens s'enfuir du marché en courant. En quelques minutes, le marché était vide. Trois chars sont arrivés dans la rue, mais jusque-là aucun tir n'avait encore retenti. Mon fils Saïd était avec Imad Abu Zahra. Ils se tenaient dans la rue, à quelque 15 mètres des chars pour les prendre en photo, et pour leur montrer qu'ils étaient journalistes. S'ils étaient partis se cacher, cela aurait semblé louche ; car souvent les gens jettent des pierres alors qu'ils sont dans des cachettes. Les chars ont commencé à leur tirer dessus, et Saïd est tombé par terre. Je ne suis pas sûr qu'Imad portait un gilet pare-balles. Il prenait des photos avec un petit appareil photo qui a ensuite été rendu à ses parents. On n'a alors pas trouvé de pellicule dans l'appareil. Pourtant, les forces israéliennes de défense n'ont pas pu confisquer la pellicule de l'appareil photo, car elles ne s'en sont pas approchées. Saïd a réussi à se déplacer vers un coin de rue, et s'est caché dans une porte. Imad n'a pas réussi à bouger. Environ un quart d'heure après avoir été touché, Imad a réussi à se traîner vers la cachette au coin de la rue. Il en avait été empêché plus tôt à cause des tirs incessants. Dix à vingt minutes plus tard, un taxi est arrivé pour les emmener à l'hôpital. J'ai appelé le Croissant Rouge plusieurs fois, sans réussir à les joindre. Environ vingt-cinq à trente-cinq minutes se sont passées entre le moment où Saïd et Imad ont essuyé les tirs et l'arrivée du véhicule qui les a transportés vers l'hôpital. Pendant tout ce temps-là, les chars n'ont pas cessé de tirer."
Mir'i Hussein Mahmoud Khadir Qabbha, étudiant de dix-sept ans (voir son emplacement sur le schéma dans "Annexes". Ce témoignage a été recueilli le 20 juillet par Roula Haddad, correspondante de Reporters sans frontières dans les territoires sous Autorité palestinienne)
"Le 11 juillet, après la levée du couvre-feu, je suis allé dans la rue du roi Fayçal et me tenais à l'extérieur du magasin d'un de mes amis. J'ai vu Saïd Dahla et Imad Abu Zahra. Je les connais comme journalistes puisqu'ils filment souvent dans le coin. Soudain, on a été surpris par l'arrivée de tanks israéliens dans la rue centrale de la ville. C'était calme. Imad et Saïd se sont approchés dans la rue opposée et ont pris des photos. Les soldats du tank ont alors, sans avertissement, ouvert le feu en direction des journalistes. Les deux hommes avaient des appareils photo et portaient des gilets avec "Press" noté dessus. Tous les deux ont été blessés aux jambes. Saïd a pu courir et s'est abrité derrière un bâtiment mais Imad est tombé par terre, dans l'incapacité de bouger. Des personnes ont voulu l'aider mais en ont été empêchées puisque les soldats continuaient à tirer. Ces derniers ont également empêché qu'une ambulance vienne secourir le blessé. Imad criait au secours. J'ai pu courir jusqu'à lui, l'attraper par les bras et le traîner jusqu'à un endroit abrité des tirs qui continuaient sans relâche. Une balle a touché Saïd alors que celui-ci venait en aide à Imad. Sa veste lui a sauvé la vie. Imad saignait abondamment et respirait avec difficulté. J'ai voulu lui enlever sa veste "Press" et son T. shirt, mais il a voulu que je lui enlève seulement la veste. C'était une veste normale avec juste un gros "TV" dessus. Je l'ai alors jetée par terre et je n'ai plus fait attention à elle. J'ai seulement pris son sac avec son matériel. On a pu aller jusqu'à un bâtiment près de nous d'où on a attendu une voiture. 20 à 30 minutes plus tard, un taxi est arrivé du côté opposé où il n'y avait ni soldats ni tanks. Le taxi l'a emmené à l'hôpital avec Saïd. Durant tout le temps que nous attendions le taxi, il demandait de l'aide, me serrait fort criant qu'il ne pouvait pas respirer. Il était terrorisé. Je suis resté avec lui jusqu'à ce que sa mère arrive à l'hôpital."
Ali Samoudi, cameraman de Reuters, Tobias Karlsson, volontaire suédois et Pete Blacker, volontaire britannique. Les trois hommes sont arrivés sur les lieux peu après que des tirs avaient atteint Saïd Dahla et Imad Abu Zahra (voir emplacement sur le schéma)
Ali Samoudi, cameraman de Reuters
"Nous étions en voiture sur la route lorsque nous avons vu les chars et peu après, la traînée de sang menant à la cachette d'Imad Abu Zahra et de Saïd. Un enfant de treize ans s'y trouvait également, et essayait de les aider. Nous sommes arrivés sur la scène dix minutes après que Saïd et Imad avaient été blessés. J'ai vu l'appareil photo du frère de Saïd. Je n'ai pas vu l'appareil photo d'Imad, ni son gilet pare-balles. Lorsque les gens du quartier ont entendu que des journalistes avaient été touchés, ils ont commencé à jeter des pierres et des pastèques sur les chars. Au moment où nous sommes arrivés, personne encore ne jetait de pierres."
Pete Blacker, observateur international d'ISM (International Solidarity Movement)
"Nous sommes arrivés sur les lieux environ trente secondes après avoir entendu la première décharge. Nous avons vu la traînée de sang et trouvé Imad et Saïd dans leur cachette."
Tobias Karlsson, observateur international d'ISM (International Solidarity Movement)
"Nous sommes quasiment sûrs que c'est la première salve qui les a touchés, car les veines d'Imad Abu Zahra étaient déchirées sur 15 cm et au moment où nous l'avons trouvé, il saignait encore. Personne n'avait appliqué de pansement à sa blessure. Il était encore conscient et pouvait marcher."
Linus Gardell et Muhammed Loubany, volontaires, étaient présents sur les lieux pendant tout l'incident mais de l'autre côté de la rue (voir emplacement sur le schéma)
Linus Gardell, volontaire
"Je suis persuadé qu'Imad Abu Zahra et Saïd Dahla n'ont pas été touchés par la première salve. Les tirs n'ont commencé qu'après la prise de position des chars. Un homme s'est mis à jeter des pastèques. Il en a lancé longtemps, avant même que les chars ne soient en position. Ils ont tiré deux séries de balles du côté de la Banque Arabe. Les tirs se sont arrêtés puis ont repris pendant un assez long temps. Je suis sûr et certain que tout a commencé à cause du fou qui jetait des pastèques."
Muhammed Loubany, volontaire canadien
"J'ai vu les chars et l'APC arriver dans le quartier. Au bout de quatre ou cinq minutes de manœuvres, l'APC a touché la ligne d'alimentation électrique en cherchant à faire un vaste demi-tour. L'APC et les chars ont pris une position défensive, alors que l'APC semblait bloqué. À ce moment-là, un fou s'est mis à jeter des pierres à l'arrière des chars, puis des pastèques. Le char l'a tout d'abord ignoré puis a tiré des coups en l'air pour lui faire peur. Il n'y avait pas eu de tirs auparavant. L'homme n'a pas pris peur, il a marché avec le char et le char a commencé à cracher une épaisse fumée. Lorsque la fumée s'est dispersée, ils ont commencé à tirer. Ils ont procédé ainsi plusieurs fois. Une fois la fumée dispersée, ils se mettaient à tirer sur les murs, dans la rue. C'est à ce moment-là qu'Imad et Saïd ont dû se faire tirer dessus, de l'autre côté de la rue, car on entendait d'autres tirs. Il vaut mieux éviter d'être dans les parages lorsque les chars commencent à cracher de la fumée, parce que s'ils tirent à travers la fumée, ils tirent sur n'importe quoi et il est facile de recevoir une balle. Plus tard, j'ai aussi entendu dire que des combattants palestiniens étaient en chemin."
Autres témoins indirects :
La mère d'Imad Abu Zahra Subhi Abu Zahra (elle n'était pas présente sur les lieux mais avait vu son fils le matin)
"Le 11 juillet, Imad a quitté la maison vers 9 heures et demie du matin. Il ne portait pas de gilet pare-balles car le couvre-feu avait été levé. Il a emporté deux appareils photo, dont l'un était autour de son cou. Imad travaillait ce jour-là, mais je ne sais pas sur quoi, peut-être souhaitait-il prendre des photos pour les mettre ensuite sur Internet. Le couvre-feu était levé et Imad est sorti pour aller au marché. Je me suis également rendue au marché. J'ai parlé à Imad vers 13 h 30, lui précisant que je me rendais chez sa sœur pour qu'elle me ramène chez moi. Imad m' a dit qu'il rentrait aussi (il vit chez nous) pour prendre une douche et pour déjeuner. Lorsque les chars sont revenus, il était environ 14 heures. Vers 14 heures 15, j'ai reçu un appel téléphonique chez ma fille. On m'a dit qu'Imad et Saïd s'étaient fait tirer dessus et qu'ils étaient à l'hôpital. Lorsque je suis arrivée à l'hôpital, Imad ne pouvait pas parler et les médecins essayaient de contenir son hémorragie. Ils l'ont transporté en salle d'opération. Imad a été opéré mais il avait perdu tellement de sang qu'il est mort. D'après ce qu'on m'a dit, une ambulance avait été appelée mais n'avait pas pu arriver à temps pour Imad, à cause des coups de feu incessants."
Docteur Naee Nazal (il n'était pas présent sur les lieux mais a accueilli les journalistes à l'hôpital)
"Au vu de la taille de la blessure et de la perte de sang au moment où Imad est arrivé à l'hôpital, j'estime que les coups ont été tirés environ dix minutes plus tôt. La durée maximale de survie à une telle blessure est de vingt minutes. Parce qu'Imad était toujours conscient lorsqu'il est arrivé, il est probable qu'il avait été blessé sept à dix minutes avant d'être admis à l'hôpital."
Schéma
Curriculum Vitæ
Nom : Imad Subhi Abu Zahra
Carte d'identité N° 96595083
Date de naissance : 20/07/1967
Adresse actuelle : Jaffa-Jerusalem-Ramallah
Adresse permanente : Easrnpart, Al-Madares st., Jénine
Tél/Fax : 04-2414022, 04-2439893
Portable : 050-240646
Email : [email protected]
Formation :
-1990 : Baccalauréat
-1991 : Semestre en gestion touristique à l'université de Bethlehem
-1997: Diplôme en journalisme écrit au Centre des médias de l'université de Birzeit
-1998-1999 : Cours en journalisme radio au Centre des médias de l'université de Birzeit + Préparation d'un M.A. en communication avec l'Université de Leicester
Expérience professionnelle :
Depuis 1991 : travaux journalistiques comme rédacteur, reporter ou photographe pour la presse locale
1991-1992 : Reporter pour l'hebdomadaire Kull Al-Arab
1995-1997 : Administrateur du bureau de presse et de publicité "Anakheel", reconnu par le ministère de l'Information
1997 : Création d'un hebdomadaire intitulé Jénine, reconnu par le ministère de l'Information
1997 : Rédacteur en chef d'une radio FM ouverte à Jénine, Al-Ahlam, reconnue par le ministère de l'Information
1998 : Professeur d'hébreu à temps partiel et traducteur arabe / hébreu
1999-2001 : journaliste indépendant travaillant pour la presse locale.
Expérience sur le sujet de la condition des femmes (interviews, rapports)
Langues :
Arabe : excellent niveau lu, parlé, écrit
Anglais : très bon niveau lu, parlé, écrit
Hébreu : très bon niveau lu, parlé, écrit
Français : Cours de français au Centre culturel Français
P.S. : Possibilité de circuler en Israël.
Le rapport médical
Hôpital du Martyr Dr Khalil
Autorité nationale palestinienne
Jénine
Ministère de la Santé
Date : 22 juillet
Imad Subhi Abu Zahra, trente-quatre ans
Le patient mentionné ci-dessus a été introduit aux urgences de notre hôpital le 11 juillet 2002. Il venait de recevoir une balle dans la cuisse droite. À son arrivée aux urgences, il était dans un état de choc, ayant perdu presque tout son sang.
Tension artérielle impossible à prendre.
Le patient a été transféré en urgence vers la salle des opérations. Dès son entrée dans la salle, le TP s'est arrêté et nous avons réalisé une réanimation cardio-pulmonaire pendant environ dix minutes, jusqu'à ce que le cœur du patient se mette à nouveau à battre. Nous l'avons opéré. Lors de l'opération, nous avons trouvé ce qui suit :
Ouverture de la plaie de 15x7 cm
Plaie située dans le tiers moyen de la partie médiane de la cuisse droite
Perte d'environ 6 cm de l'artère fémorale au canal adducteur.
La balle a été retirée du côté postérieur de la cuisse.
Les réparations à l'artère ont été effectuées en utilisant la veine saphène gauche.
Le patient a été transféré au poste ICU. Durant l'opération, il a reçu une transfusion sanguine de huit unités et de dix litres de R/L.
Sa tension artérielle et son pouls ont continué à varier grandement jusqu'à 4 heures du matin le lendemain. Il a reçu une nouvelle transfusion de quatre unités de sang, quatre unités de plasma et cinq litres de R/L et de N/S.
À 8 heures, le TP s'est arrêté d'un coup et nous avons opéré une réanimation cardio-pulmonaire pendant plus de vingt minutes, mais en vain.
Le patient a été déclaré mort à 9 heures, le 12 juillet 2002.
Dr. Nihal Sawalha
22/07/2002
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Publié le
Updated on
20.01.2016