En visite en Asie, Trump piétine les principes états-uniens de liberté de la presse
Reporters sans frontières (RSF) déplore l’attitude du président américain Donald Trump envers les journalistes lors de sa première tournée en Asie, notamment dans des pays où sévissent les pires ennemis de la liberté de la presse. Ce voyage confirme l’absence de volonté de l’administration américaine à défendre la liberté d’informer dans le cadre de ses relations bilatérales et multilatérales.
A l’heure où la liberté de la presse subit de nombreux revers aux États-Unis, le président Donald Trump a répété ses pratiques hostiles envers les journalistes lors de sa tournée officielle en Asie, la semaine dernière. En leur interdisant de couvrir une partie des évènements ou en refusant de répondre à certaines questions, le chef de la Maison-Blanche a eu l’occasion de montrer aux dirigeants chinois, vietnamien et philippin, toute l’étendue de son dédain vis-à-vis de la liberté d’informer.
"Comment le gouvernement américain entend-il promouvoir la liberté de la presse à l’étranger alors qu’il n’est même pas capable de garantir l’accès de ses propres journalistes chargés de couvrir les déplacements du président ?, s’interroge Margaux Ewen, directrice du plaidoyer et de la communication pour le bureau nord-américain de RSF.
Les dirigeants de certains des pays les plus répressifs au monde en matière de liberté d’informer ont été les témoins directs du peu d’importance que le président américain accorde au Premier amendement de la Constitution américaine. Ce comportement décrédibilise tous les actions que pourraient mener à l’avenir les États-Unis pour demander la libération de blogueurs en Chine et au Vietnam, ou une meilleure protection des journalistes aux Philippines."
"Le président Trump fournit un chèque en blanc aux dirigeants autoritaires de la région, ajoute Daniel Bastard, le responsable du bureau de RSF pour la région Asie-Pacifique. Les membres de l’APEC devraient rappeler à leurs partenaires qu’il est nécessaire de respecter les droits fondamentaux, comme l’a fait par exemple le Premier ministre canadien Justin Trudeau, même avec prudence, lors de ses visites au Vietnam et aux Philippines. Le comportement de Donald Trump, lui, a fait passer un tout autre message: ‘Vous pouvez réprimer tranquillement, ce n’est pas mes affaires’.”
Traditionnellement, les présidents états-uniens mettent un point d'honneur à répondre aux questions des journalistes lors de leurs voyages officiels à l’étranger, signifiant ainsi l’engagement politique des États-Unis envers le Premier amendement. Généralement, c’est aussi l’occasion pour les journalistes américains d’interroger de hauts représentants étrangers sur des sujets que les journalistes locaux ne peuvent pas toujours aborder librement, comme les questions relatives aux droits de l’homme. L’ancien président Obama avait d’ailleurs été vivement critiqué pour avoir refusé de le faire lors de sa première visite en Asie en 2009. Au point que cinq ans plus tard, lors de son voyage suivant, il avait convaincu le porte-parole du gouvernement chinois de se plier à ce rituel médiatique. Un journaliste du New York Times en a ainsi profité pour poser des questions sur la politique chinoise restrictive en matière de visas pour les journalistes étrangers.
Aucune question autorisée
Avec Donald Trump, il en a été tout autrement. Les journalistes américains n’ont pas été autorisés à poser des questions au président américain ni à son homologue chinois Xi Jinping lors de la traditionnelle « conférence de presse » commune qui s’est tenue le 9 novembre dernier. D’après la porte-parole du gouvernement américain, Sarah Huckabee Sanders, « c’est à la demande expresse des Chinois qu’aucune question n’a été posée aujourd’hui. »
On connaît l’hostilité commune qu’entretiennent Donald Trump et Xi Jinping envers les médias. Mais le refus du président américain de répondre aux questions est d’autant plus préoccupant qu’il se range par-là au côté d’un pays qui est la plus grande prison du monde pour les journalistes (toutes catégories confondues, professionnels ou citoyens), et qui est responsable, ces derniers mois, du décès de deux d’entre eux, dont le Prix Nobel de la Paix Liu Xiaobo, morts faute de soins pendant leur détention.
Accès limité au sommet de l’APEC
A la 176e place sur 180 pays du Classement RSF, la Chine est l’un des pires ennemis de la liberté de la presse. Le Vietnam, autre étape de la tournée de Donald Trump, occupe, lui, une position guère plus enviable, à la 175e position. Et comme en Chine, Donald Trump n’a pas permis aux journalistes qui l’accompagnaient d’accomplir leur travail au Vietnam.
Durant le sommet de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui a eu lieu les 10 et 11 novembre à Danang, au centre du pays, les correspondants de la Maison-Blanche se sont vu barrer l’accès aux principaux évènements. De nombreux journalistes en sont venus à se demander ce qui pouvait bien se passer à huis-clos, puisqu’ils n’ont pas pu couvrir le dîner de l’APEC, qui réunissaient notamment Donald Trump et Vladimir Poutine. Cette exclusion de la presse a été d’autant plus mal ressentie que les soupçons d’ingérence russe lors de la campagne présidentielle de 2016, et les dénégations répétées de la Maison-Blanche, monopolisent actuellement l’attention des médias aux États-Unis.
Le lendemain, la plupart des correspondants de la Maison-Blanche ont été mis à l'écart dans une autre pièce et se sont vus interdire l’accès à la séance photo entre Donald Trump et les dirigeants asiatiques. Seule une équipe de télévision de Fox News et le photographe officiel de la présidence états-unienne ont été autorisés à couvrir l'événement, pour diffuser ensuite leurs images auprès des autres journalistes.
Difficile, dans ce contexte, d’affirmer l’exception américaine en matière de liberté d’information lorsqu’on limite l’accès des journalistes durant la visite d’un pays parmi les plus mal situés dans le Classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Surtout, ce fut une occasion ratée de rappeler que le gouvernement vietnamien criminalise la liberté d’expression depuis plusieurs mois, en multipliant les actes de censure, de détentions arbitraires et de violence d’Etat. Au moins 25 blogueurs ont été arrêtés ou expulsés au Vietnam en 2017. Cette situation n’a pourtant jamais été abordée publiquement au cours de cette visite officielle.
Le rire de Trump après les insultes de Duterte contre la presse
En réponse aux questions des journalistes qui faisaient part de leur mécontentement concernant la non-couverture du sommet de l’APEC, la porte-parole Sarah Sanders a assuré ne pas avoir réalisé que l’accès des journalistes serait aussi limité. Sans vraiment convaincre, elle s’est toutefois engagée à y remédier lors de l‘étape suivante du président aux Philippines, légèrement mieux situés au Classement mondial de la liberté de la presse, à la 127e place.
Les journalistes ne s’attendaient cependant pas à se faire traiter d’espions par le président philippin Rodrigo Duterte, qui prenait la pose devant les photographes en compagnie de Donald Trump. C’est la seule réponse qu’a apporté le président Duterte à la question d’un journaliste qui souhaitait savoir si le président Trump allait évoquer, lors de son séjour aux Philippines, la question des violations des droits de l’homme. La tristement célèbre « lutte antidrogue » lancée par Rodrigo Duterte, qui a entraîné des milliers d’exécutions extrajudiciaires, fait en effet l’objet de critiques virulentes. Donald Trump, lui, s’est contenté de rire aux propos de son homologue philippin, après quoi les journalistes ont été escortés hors de la salle et n’ont plus été autorisés à poser de questions.
Les commentaires du président Duterte n’ont suscité aucune autre réaction de son homologue américain. Aucune allusion n’a non plus été faite aux quatre journalistes tués l’année dernière aux Philippines, à un moment où les discours anti-presse de Duterte se faisaient de plus en plus violents. Au point que le président philippin n’a pas hésité à déclarer : “être un journaliste ne vous empêchera pas d’être assassiné, si vous êtes un fils de pute”. Que le chef de la Maison-Blanche s’amuse de tels commentaires est peut-être l’un des plus sérieux camouflet aux principes démocratiques sur lesquels ont été fondés les États-Unis d’Amérique.
En un an, les Etats-Unis ont perdu deux places au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF, à la 43e place.