En Slovaquie, le projet de loi sur l’audiovisuel public se moque des exigences européennes : il doit être retiré

Alors que la Commission européenne demande le renforcement de l’indépendance des médias publics pour garantir l’état de droit, le gouvernement slovaque tente d’imposer son contrôle sur les contenus de l’audiovisuel public, par le biais du projet de loi du ministère de la Culture. Reporters sans frontières (RSF) exhorte la ministre à retirer ce projet législatif.

Dans le cadre d’une procédure accélérée, le gouvernement du Premier ministre Robert Fico fait une tentative sans précédent dans l’histoire démocratique slovaque de mainmise politique sur le groupe audiovisuel public. Le projet de loi, divulgué le 11 mars, prévoit de remplacer l’actuel groupe, Radio et télévision de Slovaquie (RTVS), par un nouvel organe, Télévision et radio slovaques (STaR), dont le directeur général et le contenu diffusé seront choisis par la majorité au pouvoir. Ce texte législatif devrait être adopté, selon le gouvernement, avant fin mars par le Conseil des ministres et au plus tard à l’été par le Parlement.

Le texte va à l’encontre du rapport sur l’état de droit en Slovaquie, adopté par la Commission européenne en juillet 2023, qui demande aux autorités de “continuer le processus de renforcement des règles et des mécanismes d’amélioration de la gouvernance indépendante et de l’indépendance éditoriale des médias publics”. Le projet de loi risque, selon le directeur général de la RTVS Ľuboš Machaj, de permettre “une prise de contrôle politique de l’audiovisuel public”. Un avis partagé par plus de 1 000 salariés et collaborateurs de RTVS qui demandent dans un appel le retrait du texte.

“Le gouvernement slovaque tente, subrepticement, de priver l’audiovisuel public de son indépendance. Allant totalement à l’encontre des recommandations du dernier rapport de la Commission européenne sur l’État de droit en Slovaquie et de la Loi européenne sur la liberté des médias (EMFA), le projet de loi est un affront au droit européen. Nous exhortons la ministre de la Culture, Martina Šimkovičová, à retirer son projet et à faire, après avis des acteurs de l’audiovisuel public, une nouvelle proposition de réforme respectueuse des exigences de l’Union européenne.

Pavol Szalai
Responsable du bureau Union européenne-Balkans de RSF

Si ce projet de loi était adopté, la majorité politique pourrait limoger l'actuel directeur général de RTVS, Ľuboš Machajélu par le parlement jusqu’en 2027 –, qu’elle accuse, sans aucun fondement, de partialité. La nouvelle direction serait alors élue par un nouveau Conseil de STaR composé de sept membres, dont quatre nommés par le Parlement et trois par la ministre de la Culture. Un nouveau Conseil de programmation, chargé de veiller au respect par le média de ses missions de service public, et composé majoritairement de membres élus par le Parlement, pourrait  révoquer le directeur général s’il estime que la programmation est non conforme avec la loi. Un pouvoir de révocation dont serait également dotée le Conseil de STaR, sans nécessité de motivation. Si un représentant du ministère de la Culture a annoncé, le 14 mars, que ce point serait supprimé, le projet de loi renforce l’asservissement politique du média  par le biais du dispositif de convention avec l’État. Celui-ci permettrait d’augmenter le financement du média par le budget d’État de 0,12 % à 0,14 % du PIB par an à condition que STaR s’engage à produire des contenus exigés directement par le gouvernement. Le financement de RTVS pour 2024, initialement prévu à l’hauteur de 0,17 %, a été diminué fin 2023 par la majorité actuelle à 0,12 %, une réduction de 30 %. 

Projet contraire à la loi européenne

Alors que l’EMFA est en dernière phase d’adoption et que le nouveau rapport sur l’état de droit est en cours de rédaction par la Commission européenne, sa Vice-Présidente chargée des médias s’est montrée préoccupée par le projet de loi slovaque. Celui-ci “mérite notre attention… pas que de la Commission, mais de toute personne qui comprend que chaque pays doit avoir des médias de service public forts, et pas de médias qui serviront de porte-voix du parti et du gouvernement”, a déclaré Věra Jourová, le 13 mars dernier. 

L’article 5 de l’EMFA, qui a été salué par RSF comme une avancée majeure pour le droit à l’information en Europe et qui devrait entrer en application dans les 15 mois après son entrée en vigueur, contient plusieurs dispositions sur les médias publics en contradiction directe avec le projet de loi slovaque. Il exige qu’une décision sur la fin du mandat anticipée de la direction soit “exceptionnelle” et “dûment justifiée”. Par ailleurs, il contraint les États membres àmettre en place des procédures de désignation et de révocation de la direction qui “visent à garantir l'indépendance” des médias publics – des dispositions qui rendraient la proposition de la ministre Martina Šimkovičová non conforme avec le droit européen.

La Slovaquie figure à la 17e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.

 

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