Digital Services Act : RSF se félicite de la reprise de ses propositions et appelle à poursuivre l’effort

A l’issue des dernières négociations sur le projet de Législation européenne sur les services numériques (DSA), et avant son adoption formelle prévue d’ici à la fin juin, Reporters sans frontières (RSF) salue un texte historique qui reprend nombre de ses propositions pour réguler le chaos informationnel généré par les plateformes, mais en souligne les insuffisances. Certains sujets majeurs ont été négligés et devront être encadrés par des législations futures.

Les dernières discussions techniques sur le projet de Législation européenne sur les services numériques (DSA) se sont terminées début mai au sein du trilogue - le cadre informel de négociations entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil européen. Le texte est en cours de lissage par les services juridiques de la Commission avant transmission au Parlement et au Conseil pour une adoption formelle à une date encore inconnue mais prévue avant la fin de la présidence française de l'UE le 30 juin.

Le DSA marque une avancée majeure pour une responsabilité renforcée des acteurs du Web, à savoir des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des sites de vente en ligne. Avec la future Législation européenne sur les marchés numériques (DMA), sur lequel les négociations au trilogue ont abouti en mars et qui doit lui aussi encore être adopté formellement, ce texte pourrait ériger l’Europe en modèle de la régulation du numérique. Le DSA fait cependant l’impasse sur un certain nombre de sujets essentiels.

Ce texte constitue une première historique sur bien des aspects, se félicite Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), même si nous espérions des mesures plus fortes et structurelles pour garantir le droit à l’information fiable en ligne. Nous appelons l’Union européenne à aller plus loin et à pallier ces manquements pour contribuer à cet objectif démocratique fondamental.

La reprise partielle des recommandations formulées par RSF

RSF a formulé des propositions pour la régulation des acteurs du numérique tout au long des négociations sur le DSA et dès avant la présentation par la Commission de son projet, en décembre 2020. Nombre de ces propositions sont issues de la Déclaration sur l’information et la démocratie, publiée en novembre 2018 par une commission composée de 25 personnalités, qui a donné lieu au Partenariat sur l’information et la démocratie signé par 45 pays dont 24 Etats membres de l’Union européenne.

Les recommandations formulées durant les négociations, notamment en juin 2021 et février 2022, visaient en particulier à l’instauration dans le DSA de garanties démocratiques dans l’espace digital pour protéger notamment le droit à l’information en ligne. RSF se félicite de retrouver nombre de ces préconisations dans le texte final.

  • Ainsi, les notions de “très grandes plateformes” et de “gatekeepers” du DSA et du DMA, et les obligations spécifiques qui leur sont imposées, correspondent au concept de “plateformes structurantes” développé dans la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie
  • L’identification du "risque systémique” que peuvent faire peser ces très grandes plateformes, et les obligations qui leur sont imposées en conséquence, répondent à la demande de RSF que les plateformes se voient dicter des obligations à proportion de leur impact sur l’espace public. Cette reconnaissance implique un changement de paradigme - ne plus considérer les plateformes comme de simples hébergeurs de contenus - et souligne leur responsabilité dans le désordre informationnel. 
  • RSF demandait que les plateformes aient un devoir de vigilance sur les impacts de leurs activités sur l’espace public. Ce devoir leur est imposé par le DSA, et marque la fin de l’irresponsabilité de principe des plateformes. Elles auront à identifier et à évaluer l’impact de leurs activités, notamment sur les droits fondamentaux, le débat public, la liberté de la presse et la démocratie et à en corriger les effets négatifs, sous le contrôle constant des autorités et du juge. Le risque lié en particulier aux algorithmes des plateformes et de leurs systèmes de recommandation a récemment été ajouté au texte, comme le préconisait RSF.
  • Pour favoriser la fiabilité de l’information en ligne et lutter contre la désinformation, RSF formulait une autre proposition concrète : l’imposition aux plateformes d’une obligation de promouvoir les sources d’information fiables dans les systèmes de recommandation. Le texte ne formule pas une telle obligation mais permet néanmoins de sérieuses avancées. Le DSA renvoie au “code de conduite contre la désinformation”, outil d’autorégulation en cours de négociation entre les plateformes, la Commission et des organisations de la société civile, dont RSF. Ce code prévoit notamment des engagements des plateformes à promouvoir des sources d’informations fiables via leurs algorithmes, et la Journalism Trust Initiative (JTI), un mécanisme de marché donnant un avantage au journalisme digne de ce nom, est explicitement mentionnée parmi les outils disponibles. Si on peut regretter que cela ne relève pas d’une obligation directement imposée aux plateformes par le DSA, la mise en œuvre d’un tel engagement, dans le cadre du devoir de vigilance des plateformes et sous le contrôle de la Commission, pourra avoir un réel impact.
  • RSF se félicite également de voir dans ce texte de réelles avancées sur la transparence des plateformes, sur leurs activités de modérations de contenus comme sur leurs systèmes de recommandations ciblées. Les plateformes devront se soumettre à des audits réguliers comme le demandait RSF.
  • On trouve encore dans le texte, comme recommandé par RSF, de meilleures garanties pour le respect du droit à la liberté d’expression des utilisateurs dans la modération des contenus. Le respect par les plateformes de la liberté et le pluralisme des médias est mieux garanti, et les droits de recours des utilisateurs face aux opérations des plateformes sont renforcés.
  • RSF préconisait que les plateformes aient une obligation de neutralité politique, idéologique et religieuse, ainsi que vis-à-vis de leurs propres intérêts. Vis-à-vis de leurs propres produits, le DMA prévoit une obligation de “non-préférence” : les plateformes ne pourront pas classer leurs propres produits ou services de manière plus favorable que ceux des autres acteurs du marché. D’éventuels conflits d’intérêts des plateformes pourront faire l’objet de sanctions, comme le proposait RSF. Il est cependant regrettable que le DSA ne définisse pas une obligation de neutralité sur les questions d’ordre politique, idéologique ou religieuse. Si les plateformes doivent modérer les contenus de façon neutre, objective et non-discriminatoire, et si elles ont un devoir de vigilance sur leur impact sur le débat public, cela n’est pas suffisant pour les empêcher de pouvoir choisir un jour de favoriser telle ou telle orientation idéologique dans leurs systèmes de recommandation.

Des occasions manquées regrettables et à pallier dans le futur

Outre ces avancées incontestables, il faut néanmoins constater un certain nombre d’aspects manquants et regrettables du texte, que de futures législations devront pallier : 

  • Pour lutter contre la désinformation en temps de crises, comme la pandémie ou la guerre en Ukraine, le DSA prévoit qu’un “protocole de crise” puisse être élaboré entre la Commission et les plateformes. En application de ce protocole, ces dernières pourront avoir à “afficher les principales informations relatives à la situation de crise fournies par les autorités des États membres ou au niveau de l’Union”. RSF regrette que le DSA privilégie ainsi l’information officielle au dépend de l’information journalistique indépendante.
  • L’occasion est aussi manquée d’instaurer un véritable système de protection des espaces informationnels démocratiques. L’examen prochain du projet de législation européenne sur la liberté des médias pourra fournir l’occasion d’instaurer un tel système. Sa justification reste entière pour lutter contre la désinformation malveillante diffusée dans l’espace informationnel européen par des organes contrôlés par les autorités des pays fermés.
  • Les messageries instantanées échappent au périmètre du DSA. RSF considère que cette absence est regrettable étant donné l’importance de ces services. Le Groupe de travail sur les “infodémies” du Forum pour l’information et la démocratie, créé à l’initiative de RSF, avait pourtant formulé de nombreuses recommandations pertinentes sur le sujet, qui auraient dû servir de référence au législateur européen.
  • Contrairement à ce que demandait RSF, et le Parlement, le texte ne garantit pas le droit au chiffrement, cette technologie de confiance qui ne passe pas par des tiers, et est indispensable aux journalistes pour protéger leurs sources notamment.

Le Forum pour l’information et la démocratie a publié plus de 350 recommandations pour renforcer les garanties du droit à liberté d’opinion et d’expression en ligne. L’Union européenne doit se saisir de ces recommandations et approfondir davantage encore les avancées permises par le DSA et le DMA.

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