Deux journalistes réfugiés en Turquie menacés d’être renvoyés en Syrie
Deux journalistes syriens détenus dans des camps de réfugiés en Turquie risquent un renvoi en Syrie. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités turques à leurs responsabilités : empêcher toute expulsion de journalistes vers la Syrie et assurer immédiatement leur sécurité en Turquie.
La promesse faite par le président turc Recep Tayyip Erdogan en mai 2022 du "retour volontaire d'un million de réfugiés syriens dans leur pays" se traduit par une menace directe sur la vie des journalistes syriens en Turquie. Deux journalistes actuellement détenus dans des centres d'hébergement temporaire près de la frontière nord de la Syrie en attestent. Khaled Obeid a été arrêté par la police le 10 janvier et demeure depuis dans le camp d’Osmaniye, ville du sud du pays. Le second, craignant pour sa sécurité, a préféré garder l'anonymat. Depuis le début de leur détention, les journalistes ont fait face à de multiples menaces d'expulsion et ont subi des pressions pour signer des documents de retour "volontaire".
“La sécurité des journalistes réfugiés est la responsabilité de la Turquie. Soyons clairs : les renvoyer vers la Syrie, c'est les renvoyer vers l’emprisonnement, la disparition, ou même la mort, prévient le responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Jonathan Dagher. Nous demandons aux autorités turques de garantir qu’aucun journaliste syrien ne soit renvoyé vers la Syrie, et nous demandons la libération de Khaled Obeid et de tout autre journaliste détenu dans ces camps.”
Réfugié en Turquie depuis août 2021, Khaled Obeid tentait de franchir un poste de contrôle de la police à Osmaniye, le 10 janvier 2023, pour réaliser un reportage pour la plateforme en ligne Creative Syrians. Bien qu'étant en possession d'une copie de son document de protection temporaire valide (Kimlik), et d’une déclaration officielle du vol du document original, il est placé en détention par les policiers, qui, d’abord, le battent et l’insultent. Lorsqu'il leur montre sa carte de presse, expliquant qu'il est journaliste, l’un des policiers la jette au sol en s'en moquant, raconte-t-il. Le lendemain, il est transféré au centre d'hébergement temporaire d’Osmaniye, un camp de réfugiés.
Depuis lors, les autorités du camp ne cessent d’exercer des pressions physiques et psychologiques sur le journaliste de 31 ans pour qu'il signe le formulaire de retour volontaire. Khaled Obeid a fait état de séances d'interrogatoire quotidiennes, au cours desquelles on lui rappelle qu'il sera renvoyé en Syrie, qu'il signe ou non le formulaire. Un autre détenu du camp contacté par RSF a récemment été transporté du camp vers la Syrie à bord d'un bus.
Contactée par RSF, l'ambassade de Turquie à Paris a affirmé, après consultation avec le ministère des Affaires étrangères à Ankara, qu'il n’était “pas question d’extrader ni d’expulser ” les deux journalistes. Selon l’ambassade, le maintien de Khaled Obeid en centre d’hébergement temporaire serait dû à des faits d'“atteinte à l’ordre public”.
“S'ils me renvoient en Syrie, ils me renvoient vers la mort”
Khaled Obeid a commencé à travailler en 2014 comme correspondant dans la ville de Homs (centre de la Syrie) pour des agences de presse indépendantes, telles qu’Orient News et Syria TV. Sa femme et ses quatre filles étant basées à Istanbul depuis 2016, il faisait fréquemment des allers-retours entre les deux pays. Mais après une tentative d’assassinat à al-Bab (Alep) le 25 Avril 2021, il doit se réfugié en Turquie en permanence.
“Ceux qui ont essayé de me tuer ne vont pas me laisser tranquille lorsque je serai de retour en Syrie, dit-il à RSF depuis le camp de détention. Je suis toujours hanté par cette tentative d'assassinat. Ils me menacent même à Istanbul. S'ils me renvoient en Syrie, ils me renvoient vers la mort.”
S'il est expulsé, quel que soit le passage utilisé, il sera en danger. Aux passages de Tal Abyad ou Bab al Salam, il sera livré à l'armée nationale, soutenue par la Turquie. Cette même armée, qu'il avait abondamment critiquée sur ses pages Facebook pour sa mauvaise gestion de la région sous son contrôle - le nord de la Syrie.
L'autre passage où le journaliste pourrait être livré est celui de Bab al-Hawa, sous le contrôle du groupe militant Hayat Tahrir al-Cham, englobant divers anciens groupes dont le Front Jabhat al-Nosra. Celui-ci avait arrêté Khaled Obeid en 2017 alors qu'il était en reportage sur le terrain. Après trois jours d'intimidation et d'interrogatoire, ils l'avaient libéré, mais seulement après avoir confisqué et effacé le contenu de son téléphone et de ses appareils photo.