De l’Ukraine au Burkina Faso : parcours d’un propagandiste italien globe-trotteur vers le réseau pro-russe African Initiative
De l’Italie au Sahel en passant par les territoires occupés ukrainiens et la Russie, Reporters sans frontières (RSF) a enquêté sur la trajectoire du propagandiste italien Vittorio Nicola Rangeloni. Cette figure du déploiement de l’influence pro-Kremlin via des formats d’apparence médiatique a notamment opéré pour le réseau de propagande russe African Initiative au Burkina Faso.
En retraçant l’itinéraire de Vittorio Nicola Rangeloni, c’est un volet de la stratégie du Kremlin d’exportation de son influence à l’international, et plus spécifiquement en Ukraine et au Sahel, qui se dessine. Originaire de Lecco, ville du nord de l’Italie, diplômé en géométrie, parfaitement russophone par sa mère russe et nostalgique de l’Union soviétique, cet Italien de 32 ans a fait ses premières armes de propagandiste en Ukraine occupée, dans les territoires de Donetsk et Louhansk dès 2015, puis à Marioupol après l’invasion de l’Ukraine à grande échelle en février 2022.
En avril 2024, il s’installe à Ouagadougou pour trois mois, comme “correspondant de guerre” sous la bannière d’African initiative, réseau de propagande fidèle au Kremlin. L’organisation, qui dispose de plusieurs relais en Afrique de l’Ouest, a été fondée à Moscou en septembre 2023 et est financée par Viktor Lukovenko, ancien agent du réseau de feu Evgueni Prigojine, ancien leader du groupe paramilitaire Wagner.
“Du Donbass ukrainien occupé par la Russie au Burkina Faso, ce propagandiste globe-trotteur relaie fidèlement la propagande de Vladimir Poutine. Le travail de Vittorio Nicola Rangeloni vise à justifier la guerre russe en Ukraine auprès d’un public toujours plus large et à promouvoir la Russie au Sahel. RSF alerte sur son profil inquiétant et dénonce son rôle dans la désinformation qui renforce le narratif du Kremlin à l'étranger.”
Premiers pas de propagandiste dans le Donbass occupé
Vittorio Nicola Rangeloni a fait ses premiers pas au service de la propagande russe en se présentant dès 2015 comme “reporter” indépendant dans les territoires occupés de l'est de l’Ukraine. Ce russophone tisse alors des liens étroits avec les autorités auto-proclamées de Donetsk et de Louhansk et travaille comme “correspondant de guerre” pour des organes de propagande locaux comme LNR-Today. Apparaissant en uniforme militaire sur des photographies aux côtés des “autorités” locales, et soupçonné d’être alors mercenaire à la solde du Kremlin, il est visé par une enquête de la justice ukrainienne ouverte en 2019 pour “participation à des groupes armés illégaux”.
Cela ne l’empêche aucunement de poursuivre son activisme en faveur du narratif pro-russe. Très actif sur les réseaux sociaux, il en relaie les positions idéologiques sur l’invasion à grande échelle de l’Ukraine dès le 24 février 2022, qu’il nomme “guerre de libération” et filme, par exemple, l’avancée de l’armée russe dans Avdiivka, ville de l’est de l'Ukraine occupée depuis le 17 février 2024. Il affiche sans ambage sa filiation doctrinale avec Evgueni Prigojine – le défunt chef des mercenaires de Wagner, qui était à la tête d’un réseau de propagande en Russie, dont la méthode a été reprise et dupliquée dans les territoires occupés d’Ukraine – en se déplaçant jusqu’à Saint-Pétersbourg pour se recueillir sur sa tombe en septembre 2023.
“African Initiative” : le chapitre burkinabè
Quelques mois plus tard, en mars 2024, tatouages, appareil photo en bandoulière et accréditation floquée du drapeau de la Russie autour du cou, Vittorio Nicola Rangeloni ne passe pas inaperçu dans les rues de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Il est tour à tour remarqué lors de sa couverture d’un rassemblement anti-américain, d’une manifestation de soutien à la junte en faveur de la prolongation de la transition ou lors de la projection du film de propagande coproduit par la Russie et la Centrafrique, Touriste, organisée par l’association locale russo-burkinabè d’African Initiative. Financé par une société de la galaxie Wagner, le film, à mi-chemin entre fiction et documentaire, fait l’éloge des militaires russes présents en Centrafrique. C’est également dans la capitale burkinabè que le 9 mai, lors d’une exposition organisée par l’association African Initiative à Ouagadougou, Vittorio Nicola Rangeloni présente ses clichés pris au cours de ses dix années passées dans les territoires de l’est de l’Ukraine, occupés par la Russie.
Jusqu’alors inconnu du paysage médiatique burkinabè, c’est pourtant Vittorio Nicola Rangeloni qui décroche, le 28 mai dernier, une interview avec le ministre de la Défense Kassoum Coulibaly, alors que ce dernier ne s’exprime que lors de rares conférences de presse. Cela, dans un contexte où les médias locaux et étrangers ne cessent d’être menacés et réprimés, quand les journalistes ne sont tout simplement pas expulsés.
“L’évolution du paysage médiatique au Burkina Faso continue de surprendre. Après avoir évincé de nombreux médias internationaux et réduit au silence les journalistes burkinabè, le pouvoir accorde des interviews à un propagandiste pro-russe italien. L’implantation de l’agence de propagande African Initiative au Sahel, et la création d’une antenne au Burkina Faso, légitimée par le pouvoir en place, est un signal inquiétant pour la survie du journalisme fiable dans un pays qui a longtemps été un exemple en matière de liberté de la presse dans la région.”
African Initiative, un outil de Moscou au Sahel
La trajectoire de Vittorio Nicola Rangeloni au Sahel est directement reliée à celle du déploiement de l’African Initiative. Celle-ci s’inscrit dans une stratégie globale de la Russie sur le continent – comprenant notamment le volet militaire de l’Africa Corps – et intensifie ses activités dans la région depuis le début de l’année 2024.
Au Burkina Faso, l’association locale a organisé une réunion avec plusieurs journalistes de médias en ligne, fin mai, selon les sources de RSF, afin de promouvoir ses activités. Au Mali, le même mois, African Initiative a invité les membres de la webTV Gandhi Malien, l’un des médias les plus suivis du pays, à découvrir la Russie et les territoires occupés d’Ukraine pendant deux semaines. Au moins deux séances de travail ont également été organisées, notamment avec Artem Kureev, présenté comme le rédacteur en chef d’African Initiative et la tête pensante du réseau. Il serait également un agent du service de sécurité russe, le FSB, d’après le média d’investigation The Insider. En juin, un groupe de blogueurs et de journalistes de huit pays du continent a également visité le siège du réseau de propagande, situé à Moscou.
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