Deux semaines après la décision des autorités ivoiriennes de suspendre les émissions en FM de Radio France Internationale (RFI) pour un prétendu « mauvais traitement de l'information », Reporters sans frontières s'élève contre la « détérioration inadmissible des conditions de travail des journalistes à Abidjan, marquée par la terreur que font régner les 'Jeunes patriotes' ».
Deux semaines après la décision des autorités ivoiriennes de suspendre les émissions en FM de Radio France Internationale (RFI) pour un prétendu « mauvais traitement de l'information », Reporters sans frontières s'élève contre la « détérioration inadmissible des conditions de travail des journalistes à Abidjan, marquée par la terreur que font régner les 'Jeunes patriotes' ». L'organisation appelle les autorités ivoiriennes à prendre une série de mesures énergiques pour qu'à l'approche de l'élection présidentielle prévue en octobre, les journalistes puissent enfin travailler sans subir les expéditions punitives de ces miliciens.
Depuis une semaine, les « Jeunes patriotes » ont successivement effectué une descente musclée au siège de la radiotélévision publique pour la forcer à diffuser un discours de son chef, parcouru les rues d'Abidjan pour y pratiquer une journée de censure par vandalisme contre les journaux qui leur déplaisent et tabassé un journaliste d'un quotidien d'opposition, tombé dans une embuscade.
« Toute la semaine, la milice de Charles Blé Goudé a fait régner sa loi à Abidjan, faite de brutalité, de chantage et de vandalisme, a déclaré Reporters sans frontières. Qu'attendent les autorités ivoiriennes, si elles se disent attachées à la paix civile, pour empêcher que la capitale économique vive sous la coupe de ce groupe se réclamant de l'autorité du chef de l'Etat ? Plutôt que de s'en prendre de manière disproportionnée à la presse internationale, les autorités devraient prendre la mesure du scandale de la situation actuelle, dominée par les expéditions punitives de bandes organisées agissant en toute impunité. »
« Pour prouver leur bonne volonté, les autorités ivoiriennes devraient prendre en compte les propositions de Reporters sans frontières, a ajouté l'organisation. Premièrement, après 15 jours de silence forcé, il est temps que la suspension de RFI soit levée, la preuve étant faite, d'une part, que la radio n'est en rien responsable du climat de violence et, d'autre part, que sa mise à l'index, dans le contexte ivoirien, est injuste. Deuxièmement, des sanctions sérieuses doivent être prises à l'encontre des responsables des menaces et des violences contre les journalistes travaillant à Abidjan, conformément à la loi. Troisièmement, après les coups de force du 4 novembre 2004 et du 24 juillet 2005, et dans la perspective de l'élection présidentielle, nous estimons une fois de plus que les sites des médias d'Etat doivent être sécurisés au plus vite par une force conjointe de l'armée ivoirienne, de l'ONU et de l'opération Licorne, afin d'empêcher toute agression ou prise de contrôle illégitime du service public de l'information. »
Dans l'après-midi du 24 juillet, une centaine de « Jeunes patriotes » ont forcé l'entrée du siège de la Radiotélévision ivoirienne (RTI) et de Radio Côte d'Ivoire (RCI), dans le quartier de Cocody. Selon un communiqué du directeur général de la RTI, Kébé Yacouba, ils ont « exigé, sous la menace, la diffusion intégrale du discours de leur leader », qui pendant plus de 20 minutes demandait à ses partisans « d'interdire jusqu'à nouvel ordre » toute manifestation de l'opposition en zone gouvernementale.
Le lendemain, des groupes de « Jeunes patriotes » ont parcouru plusieurs quartiers d'Abidjan et de Bassam, détruisant sur leur passage les éditions du quotidien d'opposition Le Patriote (proche du RDR, le parti de l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara) et du Nouveau Réveil (proche du PDCI de l'ancien président Henri Konan Bédié). Un groupe s'est rendu au siège du groupe de distribution des journaux EdiPresse, afin d'empêcher, sous la menace, que ces journaux continuent d'être distribués. Dans la soirée du 25 juillet, des « Jeunes patriotes » se sont postés devant l'entrée du quotidien indépendant Dernière heure, empêchant les employés de travailler. L'édition du lendemain n'a pas pu être diffusée.
Le jour suivant, des « Jeunes patriotes » se sont attaqués à des militants du PDCI, devant le siège de leur parti, blessant huit d'entre eux. Plusieurs journalistes ont été menacés. L'un d'eux, José Stéphane Boudou, du quotidien indépendant Le Jour Plus, a été tabassé après avoir décliné son identité.
La diffusion de RFI a été suspendue en Côte d'Ivoire à partir du 15 juillet à minuit et jusqu'à nouvel ordre par le Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA). Ce dernier reproche à la radio un « traitement non professionnel » et déséquilibré de l'actualité ivoirienne. Il est exigé que RFI paye 9 millions de FCFA (14 000 euros) au CNCA, qui demande également à la radio de démentir, au moins cinq fois à la reprise de ses émissions, l'existence controversée d'un rapport de l'ONU mettant en cause le gouvernement ivoirien dans des violences meurtrières récentes.
Les « Jeunes patriotes », milice civile se réclamant du président Laurent Gbagbo, sont entrés cette année dans la liste des « prédateurs de la liberté de la presse » établie par Reporters sans frontières. Dirigé par Charles Blé Goudé, ce groupe avait été l'un des fers de lance de la mouvance présidentielle en octobre et novembre 2004, en s'attaquant tout d'abord aux vendeurs de journaux, puis en saccageant les rédactions des quotidiens indépendants ou d'opposition Le Patriote, 24 Heures, Le Front, Le Nouveau Réveil, Le Jour Plus et Le Libéral. La veille de cette descente, dans la nuit du 3 au 4 novembre, les diffusions de RFI, de BBC Radio et d'Africa N°1 avaient été interrompues sur la bande FM, après qu'un commando avait saboté leurs installations techniques communes. La reprise en main des médias d'Etat avait ainsi été l'une des pièces maîtresses de l'offensive avortée du président Laurent Gbagbo pour reprendre le contrôle de l'ensemble de la Côte d'Ivoire. Dans la matinée du 4 novembre, avec l'appui de centaines de « Jeunes patriotes » qui avaient pris position devant le siège de la RTI et RCI, les médias d'Etat étaient passés sous la coupe des fidèles de la présidence et du parti présidentiel, le FPI.
Reporters sans frontières rappelle que, dans son rapport de mission intitulé « Il est temps de 'désarmer les esprits, les plumes et les micros' », publié en mai 2005, l'organisation avait préconisé une « série de mesures d'urgence » pour « sortir du double dilemme de l'impuissance, celle de l'indignation sans conséquence, d'un côté, et, de l'autre, celle de l'impunité ». Entre autres, pour le secteur audiovisuel, Reporters sans frontières soulignait déjà l'urgence de sécuriser, par le déploiement d'une force conjointe (armée ivoirienne, casques bleus de l'ONU, soldats français de l'opération Licorne) les différents sites et émetteurs de la RTI et de RCI. « Il est inconcevable qu'après l'expérience du coup de force du 4 novembre 2004, et sans même remonter à l'autoproclamation du général Gueï comme vainqueur de l'élection présidentielle en octobre 2000, la communauté internationale ne sanctuarise pas, à l'approche d'un scrutin décisif et d'une campagne électorale, l'objectif évident de toute tentative de faire déraper ce processus », écrivait l'organisation. Reporters sans frontières estimait en outre que, dans les meilleurs délais, ces installations devaient également être réparées et remises en marche à l'échelle du pays. Elle rappelait enfin que, depuis la partition du pays en septembre 2002, l'ensemble du territoire national n'est plus couvert par le service public d'information, et que, dans le Nord, les fréquences de la radiotélévision publique sont occupées par la chaîne de propagande des Forces nouvelles (FN).