Assassinat du journaliste Hrant Dink en Turquie : une prescription de la procédure injuste, symbole de 18 ans de chaos judiciaire

Le journaliste turco-arménien Hrant Dink a été assassiné en 2007 à Istanbul

Le 19 janvier prochain, cela fera 18 ans que le journaliste turco-arménien Hrant Dink a été assassiné à Istanbul devant les locaux du journal Agos, dont il était le rédacteur en chef. Pourtant la justice n’a toujours pas été pleinement rendue. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la décision de prescription prononcée ce 10 janvier dans l’un des procès, aboutissement de 18 ans d’errements judiciaires, et demande que tous les responsables de ce crime soient enfin jugés.

Après près de 18 ans, la justice confisquée. Ce 10 janvier, l’auteur des coups de feu qui ont tué le journaliste Hrant Dink le 19 janvier 2007, Ogün Samast – qui a déjà été condamné pour ce meurtre en 2011 –, ainsi que six autres membres d’un groupuscule d’extrême droite de Trabzon (nord-est du pays) impliqués dans le crime, devait être jugés, cette fois, pour “complicité de meutre” “au nom d’une organisation illégale sans toutefois en faire partie’’. Mais après 18 années d’errements et de tergiversations judiciaires pour déterminer si ce crime était bien lié à l’organisation FETÖ (“Organisation Terroriste Fetullahiste”), les accusés ont bénéficié de la prescription de la procédure.

“Hrant Dink était ouvertement la cible de graves menaces dans la rue, dans les palais de justice, et également de la part de certains organes gouvernementaux de défense et de sécurité, dont l'État-major et les renseignements, en raison des ses articles et éditoriaux. Mais il n’a jamais été protégé, et nombre de responsables de son meurtre n’ont toujours pas été traduits en justice. Nous dénonçons le manque flagrant de volonté politique et de moyens judiciaires pour totalement élucider ce meurtre, dans un délai raisonnable, dans le cadre d'une procédure unie et claire. La justice a été sacrifiée au cours de ces 18 années de tri politique parmi les accusés, ne poursuivant que ceux suspectés d’appartenir à l’organisation dite FETÖ, et d’incessants rebondissements judiciaires, aboutissant à une prescription injuste. Nous sommes solidaires de la famille de Hrant Dink et, à leurs côtés, nous demandons que l'ensemble des responsables de ce meurtre odieux soient enfin jugés et condamnés.” 

Erol Onderoglu

Représentant de RSF en Turquie

De 2004 jusqu’à son assassinat, Hrant Dink a non seulement fait l’objet d’une campagne de haine, mais aussi d’un lynchage judiciaire en raison d’articles et éditoriaux parus dans l’hebdomadaire Agos, dont il était rédacteur en chef. 

Dix ans avant de mettre en cause certains agents de l’État

La justice n’a inquiété aucun agent des renseignements ni aucun membre des forces de l’ordre pendant les dix premières années qui ont succédé le meurtre. Ce n’est qu’après la condamnation de la Turquie, le 14 septembre 2010, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qu’un procès voit enfin le jour, contre 76 responsables et agents de l'État. Mais des accusés manquent. Ainsi, par exemple, ni les responsables de l’État-major qui ont menacé Hrant Dink par l’intermédiaire d’un communiqué du 22 février 2004 l’exposant à la violence des groupes ultra nationalistes, ni les deux agents des renseignements qui l’ont convoqué le 24 février 2004 à la préfecture d’Istanbul pour le menacer n’ont été inquiétés. 

Un combat pour la justice qui continue

Les avocats de la famille de Hrant Dink ont présenté fin 2023 une requête à la Cour constitutionnelle pour l’annulation des acquittements et non-lieux prononcées pour 13 accusés, dont le chef de la police d’Istanbul, Celalettin Cerrah; le chef de la police de Trabzon Resat Altay; le chef des renseignements de la police d’Istanbul Ahmet Ilhan Güler ou encore le chef des renseignements de la police nationale Sabri Uzun. La Cour Constitutionnelle n’a pas encore pris de décision. 

Un autre procès est toujours en cours et vient quant à lui d’être reporté une nouvelle fois ce 10 janvier: celui de certains des agents du service du renseignement et des responsables de la gendarmerie de la province de Trabzon, accusés d’avoir fermé les yeux sur les préparatifs de meurtre d’Ogün Samast et de Yasin Hayal et tenté de déstabiliser le pouvoir par l’accomplissement d’un tel acte. À la suite du renvoi de la Cour de cassation qui a cassé les sentences, allant de trois ans à la perpétuité, prononcées le 26 mars 2021, contre 15 des 27 condamnés, ceux-ci sont rejugés pour “homicide avec préméditation” et “violation de l’ordre constitutionnel”. Ils risquent la prison à vie sans possibilité d’amnistie. Le 31 mai, le procureur a requis la condamnation de huit de ces agents. Le prononcé du verdict de la 14e chambre de la cour d’assises d’Istanbul a été reporté au 7 février 2025. 

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