Accusations fabriquées, défense muselée, reporters exclus de la salle : le procès inique de Sevinj Vagifgizi et de ses collègues d’Abzas Media
L’audience prévue le 21 janvier dans le procès du média d’investigation Abzas Media se tiendra dans un climat de répression et d’injustice en Azerbaïdjan. Reporters sans frontières (RSF) exhorte les autorités à libérer immédiatement les journalistes et les partenaires internationaux du régime à conditionner leur coopération à l’arrêt de l’instrumentalisation de la justice pour museler les médias.
Demain, mardi 21 janvier, s’ouvre une nouvelle audience du procès, entaché d’arbitraire, contre la rédactrice en chef d’Abzas Media, Sevinj Vagif gizi Abbasova, connue sous le nom de Sevinj Vagifgizi, et de cinq autres journalistes de ce site d’information azerbaïdjanais. Tous plaident non coupables des huit chefs d’accusation retenus contre eux et manifestement infondés – parmi lesquels la “contrebande de devises étrangères”. Selon les avocats, aucune preuve tangible n’a été apportée par le parquet. Les journalistes risquent jusqu’à 12 ans de prison.
Lors de l’audience préliminaire du 17 décembre 2024, les reporters souhaitant couvrir les débats ont été interdits d’accès à la salle, prétendument faute de place, alors que celle-ci était remplie de personnes n’ayant aucun lien avec l’affaire. Les requêtes légitimes de la défense, visant notamment à renvoyer le cas pour complément d’enquête, à remplacer la détention préventive par une assignation à résidence, ou à transmettre aux avocats les enregistrements vidéo joints aux documents d’enquête, ont été rejetées, confirmant le caractère arbitraire des procédures.
Justice instrumentalisée par le pouvoir
Par ailleurs, deux des trois juges chargés de l’affaire ont fait l’objet par le passé d’enquêtes publiées par Abzas Media, montrant leur dépendance vis-à-vis du pouvoir politique. L’un d’eux, Rasim Sadikhov, a participé à la condamnation d’un défenseur des droits humains, décision politiquement motivée selon un jugement de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2018.
“La persécution de Sevinj Vagifgizi et de ses collègues, connus pour leurs enquêtes sur la corruption au plus haut niveau de l’État, illustre la dérive autoritaire du régime d’Ilham Aliev. Ces poursuites s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à discréditer et neutraliser les médias indépendants, comme Abzas Media, qui dérangent le régime en dénonçant des abus de pouvoir. RSF demande leur libération immédiate et exhorte les partenaires internationaux de l’Azerbaïdjan, notamment l’Union européenne, à conditionner leur coopération à des progrès concrets en matière de liberté de la presse.
Sevinj Vagifgizi a été interpellée par la police à l'aéroport de Bakou, à son retour d’Istanbul le 21 novembre 2023. La rédactrice en chef d’Abzas Media est rentrée en Azerbaïdjan, sachant qu'elle serait arrêtée. Sa détention provisoire ne cesse pourtant d’être prolongée, comme celle de ses collègues. Elle subit des conditions de détention déplorables depuis plus d’un an : cellules surpeuplées, non ventilées, pressions morales et physiques, violations de ses droits en tant que prisonnière. L’interdiction de contacts téléphoniques et de visites de ses proches n’a été levée qu’après protestation publique de sa mère. Les comptes bancaires de sa famille ont par ailleurs été bloqués pendant six mois.
Harcèlement continu
La détention de Sevinj Vagifgizi s’ajoute à un historique de persécutions : menaces, violences policières, surveillance... Détenue à plusieurs reprises lors de sa carrière, elle a subi en 2015 une interdiction de quitter le territoire pendant cinq ans, décision jugée illégale par la CEDH en mai 2020.
L’arrestation des journalistes d’Abzas Media a inauguré une nouvelle vague de répression. Pas moins de 20 professionnels de médias indépendants se trouvent aujourd’hui derrière les barreaux, face à un système judiciaire et une administration pénitentiaire cadenassés par le clan Aliev. L’emprisonnement du journaliste de Toplum TV Farid Ismailov, le 17 janvier, et l’interrogatoire, la veille, de sa consœur de Voice of America, Ulviyya Guliyeva, laissent présager des perspectives inquiétantes pour l’avenir des médias indépendants.