Deux mois après la tentative de coup d'Etat contre le président Chávez, Reporters sans frontières s'inquiète du peu d'informations délivrées par les autorités sur la mort du photographe Jorge Tortoza. Ce même 11 avril, six autres photographes ou cameramen avaient été blessés.
Deux mois après le 11 avril, premier jour d'une tentative de coup d'Etat contre le président Chávez au cours duquel dix-sept civils ont été tués, Reporters sans frontières s'inquiète du peu d'informations délivrées par les autorités relatives à l'état d'avancement de l'enquête sur la mort de l'une des victimes, le photographe Jorge Tortoza (photos), du quotidien Diario 2001. L'organisation demande aux autorités vénézuéliennes de mobiliser toutes les resssources nécessaires pour identifier et punir la ou les personnes ayant tiré sur le journaliste.
Reporters sans frontières est d'autant plus préoccupée qu'au cours de la même journée, six autres photographes ou cameramen ont été blessés. Selon plusieurs témoignages, les journalistes auraient été visés intentionnellement au cours de la journée du 11 avril. Les enquêtes sur les cas de journalistes blessés n'ont pas davantage abouti.
Alors que, au sein même de la presse, les clivages entre partisans et adversaires du président Chavez persistent, Reporters sans frontières appelle l'ensemble des médias à s'unir pour demander que toute la lumière soit faite sur la mort de Jorge Tortoza. Rappelant que les photographes blessés le 11 avril appartenaient à des médias de différentes tendances, l'organisation a souligné que "l'impunité est l'affaire de tous".
Alors que de nouvelles rumeurs de coup d'Etat circulent à Caracas, Reporters sans frontières rappelle qu'elle condamne fermement la tentative de coup d'Etat du 11 avril qui a provoqué la chute, l'espace de trois jours, de Hugo Chavez, élu à la présidence en décembre 1998 et réélu en juillet 2000. "Au même titre que la liberté de la presse, le respect du résultat des élections constitue l'un des piliers de la vie démocratique", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation. Ce dernier s'est également dit indigné par la censure et les pressions dont ont été victimes tant les médias privés de la part du président Chávez, le 11 avril, que certains médias publics de la part des auteurs du coup d'Etat, les 12 et 13 avril. Le 12 avril, des éléments de la police municipale (Policia Metropolitana), contrôlée par le maire Alfredo Peña (opposition), avaient notamment empêché le personnel de la chaîne publique Venezolana de Televisión, proche du Président, de poursuivre ses émissions.
Jorge Tortoza : mort d'un photographe d'expérience
Jorge Tortoza, photographe du quotidien Diario 2001, a été tué par balle le 11 avril 2002 alors qu'il couvrait les manifestations organisées par l'opposition pour protester contre la politique du gouvernement du président Hugo Chavez et qui ont abouti à la chute de ce dernier. Alors que le photographe se tenait en tête du cortège des manifestants, il a été grièvement blessé à la tête par une balle de 9 mm. Evacué à l'hôpital Vargas, il est mort vers 21h30 après avoir subi une opération chirurgicale. Jorge Tortoza travaillait depuis plus de dix ans pour Diario 2001. Il avait auparavant travaillé pour le laboratoire de photographie de la police judiciaire.
Deux mois plus tard, peu d'informations ont filtré sur l'enquête. Les trois suspects brièvement détenus peu après la mort du journaliste étaient en fait des membres du groupe de presse Bloque de Armas auquel appartient Diario 2001. Il leur était reproché de s'être emparés de l'appareil photo de Tortoza qu'ils avaient pris sur la victime pour le rapporter à la rédaction du journal. Une autopsie a été pratiquée le 12 avril. Après le retour à la tête de l'Etat du président Chávez, le 14 avril, de nouveaux juges d'instruction ont été nommés sur le dossier des victimes du 11 avril. Depuis, l'enquête progresse lentement. La reconstitution des faits n'a été effectuée que le 26 avril, soit deux semaines après les faits. Par ailleurs, au moins deux témoins n'ont toujours pas été entendus par les enquêteurs : Amilcar Chourio, le chauffeur de Diario 2001 qui accompagnait le journaliste, et Jenny Oropeza, proche collaboratrice de Tortoza au sein de Diario 2001 et qui l'a accompagné une partie de la journée du 11 avril.
L'organisation vénézuélienne de défense des droits de l'homme Cofavic, qui apporte un soutien juridique aux familles des victimes, a publié un communiqué signé par ces dernières dénonçant "le manque de résultats concrets" des enquêtes. "Nous ne disposons d'aucune information officielle susceptible de nous tranquilliser et de nous donner confiance dans notre recherche de justice", déplorent les familles. Ces dernières demandent que les expertises nécessaires à l'établissement des faits soient réalisées "par des experts internationaux". Elles demandent également "l'accès aux conclusions des examens médicaux-légaux" avant de lancer un appel à la société vénézuélienne à se joindre à leurs efforts pour "dépolitiser" ces crimes. Cofavic constate néanmoins que la mort de Jorge Tortoza est l'un des rares cas d'homicides survenus le 11 avril à avoir fait l'objet d'une reconstitution.
Des consignes pour tirer sur les journalistes ?
Le 11 avril, au moins six autres photographes ou cameraman ont été blessés alors qu'ils couvraient la manifestation de l'opposition. Jonathan Freitas, du quotidien Tal Cual, est légèrement blessé au bras. La balle terminera sa trajectoire dans le téléphone portable du journaliste. José Antonio Davila, technicien d'une équipe de la chaîne CMT, a été blessé d'une balle dans le genou alors qu'il prenait des images de la manifestation depuis le toit d'un immeuble. Ce dernier a confié à Reporters sans frontières que, selon lui, les tirs suivaient précisément ses déplacements. Une photographe rapporte par ailleurs qu'un membre de la garde affectée à la protection du palais présidentiel lui a déclaré ce jour-là : "Range cet appareil photo car l'ordre est de tirer sur tous ceux qui ont des appareils photo." Enrique Hernández, de l'agence publique Venpres, Luis Enrique Hernández, du quotidien Avance, et Jorge Recio, assistant du photographe free-lance Nelson Carrillo, ont également été blessés par balles. Selon un collectif de photographes créé au lendemain des événements, Jorge Recio a été touché à la colonne vertébrale et restera paralysé. Pour sa part, Miguel Escalona, du quotidien El Carabobeño, a été frappé à la tête avec une batte de base-ball et son matériel lui a été volé. Enfin, un agent de la Disip (police politique), qui prenait des images de la manifestation, a également été blessé par balles.