100 jours de présidence de Hassan Rohani : aucune avancée significative pour la liberté de l'information
Organisation :
Le 15 juin 2013, Hassan Rohani, le candidat conservateur modéré soutenu par les réformateurs, a été élu dès le premier tour de la présidentielle avec plus de 51% des voix. À l’occasion des 100 premiers jours du gouvernement Rohani, Reporters sans frontières dresse un bilan décevant des actions du gouvernement dans le domaine de liberté de l'information et demande à nouveau au président Rohani de respecter ses promesses, de mettre fin au règne de l’arbitraire, de l’impunité et de la censure.
Le 14 juin, les Iraniens ont profité de la brèche électorale pour s’exprimer et voter massivement contre la politique officielle du Guide suprême, Ali Khamenei, considéré comme responsable de la répression et de l’arrestation arbitraire de plus de 300 journalistes et net-citoyens, torturés par les services de renseignements.
Pendant sa campagne, Hassan Rohani a répété qu’il fallait “libérer tous les prisonniers politiques”. Il a également mentionné à plusieurs reprises vouloir un changement “en faveur de la liberté d’expression et de la presse”. Ces engagements forts ont poussé les progressistes iraniens, notamment les jeunes et les femmes, à massivement voter pour lui, faisant d’Hassan Rohani le septième président de la République islamique. Cent jours après son arrivée au pouvoir, et malgré la libération de certains prisonniers d’opinion, l'Iran demeure l'une des plus grandes prisons du monde pour les professionnels des médias avec cinquante journalistes et net-citoyens emprisonnés. Depuis son arrivée au pouvoir, au moins dix journalistes et blogueurs, ont été arrêtés; dix autres ont été condamnés à des peines s’élevant, au total, à 72 ans de prison ferme; et trois médias ont été suspendus ou obligés d'interrompre leur publication sous la pression des autorités.
Entraves envers de la liberté de l'information:
- Arrestations
Le 11 novembre, Ali Asghar Gharavi, écrivain et auteur d’un article publié dans le numéro du 23 octobre 2013 du quotidien réformateur Bahar, a été arrêté dans la ville d’Ispahan. Il est accusé d’"insulte envers des textes sacrés de l’islam". Le journal avait déjà été suspendu le 28 octobre dernier par la Commission d’autorisation et de surveillance de la presse, l’organe de censure du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique.
Le 4 novembre 2013, Saied Pour Aziz, directeur du quotidien suspendu Bahar, a été arrêté, suite à sa convocation par le parquet de Téhéran. Il a été libéré provisoirement contre versement d’une caution 200 million de tomans (environ 250 000 euros), dans l’attente de son jugement.
Le 28 octobre 2013, trois net-citoyens, Said Leali, Amir Yari et Mohammad Poladi, ont été arrêtés sur le campus de l’université d’Ispahan par des agents du ministère des Renseignements en civil. Les trois étudiants sont connus pour leurs critiques à l’égard du pouvoir publiées sur leurs pages de Facebook et leurs blogs. On ignore toujours aujourd’hui le motif et le lieu de leur détention.
Le 7 octobre 2013, Mostafa Faghihi, directeur du site d’information Entekhab, a été arrêté à Téhéran. Le journaliste avait été convoqué au tribunal suite à une plainte déposée à son encontre après la publication de commentaires sur son site relatifs au rapprochement entre l’Iran et les État-Unis. Proche du président Rohani, il a été liberé provisoirement le lendemain après le versement d’une caution de 100 millions de tomans (environ 90 000 euros).
Le 9 juillet 2013, Fariba Pajoh, collaboratrice de journaux réformateurs, a été arrêtée à son domicile de Téhéran, après une perquisition par des agents en civil du ministère des Renseignements. Elle a été ensuite transférée à la prison d’Evin. La journaliste avait été libérée provisoirement, le 27 juillet, dans l’attente de son procès, après le versement d’une caution de 300 millions de tomans (environ 300 000 euros).
Le 7 juillet 2013, deux net-citoyens de la ville de Semnan (sud du pays) ont été arrêtés par la cyberpolice iranienne (la FTA) pour avoir insulté des représentants du régime sur leur page Facebook. “Ils ont avoué leurs actes criminels pendant l’interrogatoire,” a déclaré Ali Mir Ahmadi, le chef de la police de la ville à l’agence Mehrnews.
- Condamnations
Le 9 novembre 2013, les journalistes kurdes Khosro et Masoud Kourdpour, directeur et collaborateur du site d’information Mokeryan, ont été condamnés respectivement à six et trois ans et demi par la deuxième chambre du tribunal de la révolution de la ville de Mahamabad (ouest du pays). Ces journalistes ont été accusés d’“actions et publicité” contre le régime, et de “publication d’informations sur la situation des prisonniers et des droits de l’homme”. Arrêtés début mars 2013, ils ont été mis en examen après 111 jours de détention illégale par les services de renseignements.
Les 23 et 28 octobre 2013, le journaliste documentariste Mahnaz Mohammadi et la jeune actrice et blogueuse, Pegah Ahangarani ont été informés de leurs condamnations à cinq ans et 18 mois de prison par la 28ème chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran.
Le 13 juillet 2013, la 15ème chambre du tribunal de la révolution de Téhéran a retenu comme chefs d’inculpation contre sept collaborateurs du site d’informations soufi Majzooban Nor la “publicité contre le régime”, l’“insulte envers le Guide suprême”, et “l’action contre la sécurité nationale ”. Hamidreza Moradi a écopé de dix ans de prison, Reza Entesari, de huit ans et demi, Mostafa Daneshjo, Farshid Yadollahi, Amir islami, Omid Behrouzi et Afshin Karampour, de sept ans et demi prison ferme chacun. Ces peines sont assorties, pour tous, de cinq ans d’interdiction d’exercer toute activité politique et journalistique. Détenus depuis septembre 2011 dans la prison d’Evin, les net-citoyens et leurs avocats ont boycotté les audiences de ce procès, jugé inéquitable. Au début du mois d’août, Farzaneh Nouri, la mère de Farhad Nouri, l’un des journalistes du site, a été condamnée à deux ans prison ferme par la 2ème chambre du tribunal de Shiraz, notamment en raison des activités de son fils en exil.
- Suspension et fermeture de médias
Le 29 octobre 2013, Saymareh, un influent hebdomadaire du Lorestan (ouest du pays) a été obligé de mettre un terme à ses activités suite à la condamnation de son directeur à un an d’interdiction d’exercer toute activité journalistique par la 13ème chambre de la haute Cour de la République islamique. Le journal avait déjà suspendu sa publication, sous la pression de responsables politiques locaux. Kianoush Rostami, son directeur et Parviz Gravand, journaliste, ont été condamnés respectivement à un an et cinq ans de prison ferme par le tribunaux de la ville de Khoramabad. Ces peines ont été réduites par la haute Cour à cinq ans de prison avec sursis à un an d’interdiction d’exercer toute activité journalistique. Dans son numéro du 18 septembre 2011, le journal avait publié un article humoristique intitulé : “Seuls les dictateurs et les ânes ne se trompent pas” pour dénoncer les dictateurs et leurs agissements. Plusieurs responsables locaux avaient qualifié l’article d’“insulte contre le caractère sacré de l’islam” et mené une campagne de harcèlement avant de porter plainte contre le journal. Saymareh a décidé de suspendre ses publications jusqu’au rendu du verdict du tribunal. Lors de l’audience du 27 novembre 2011, les jurés n’ont pas laissé l’avocat de l’hebdomadaire terminer sa plaidoirie.
Le 28 octobre 2013, le quotidien réformateur Bahar a été suspendu par la Commission d’autorisation et de surveillance de la presse, l’organe de censure du ministère de la Culture et de l’Orientation islamique dirigée par le ministère de la Culture et de l’Orientation islamique. Le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique a confirmé cette suspension en accusant le journal de “falsification de l’histoire” et “tentative de créer des divergences entre religieux dans le pays”. L’article incriminé, publié dans le numéro du 23 octobre 2013, était intitulé “Ali le premier Imam des chiites était un leader religieux avant d’être un leader politique”.
La situation insupportable des journalistes et net-citoyens en prison
Malgré les quelques permissions accordées à certains journalistes et net-citoyens depuis le mois juillet 2013, aucun changement relatif au traitement inhumain réservé aux prisonniers d’opinion en Iran et notamment dans les prisons d’Evin et de Raja’i Shahr n’a eu lieu. De nombreux détenus sont toujours privés de soins médicaux, alors même qu'ils sont malades et très affaiblis physiquement et psychologiquement.
Reporters sans frontières s’inquiète du cas de Mohammad Sedegh Kabodvand, Arash Honarvar Shojai, Abolfazl Abedini Nasr, Hossein Ronaghi Malki, Said Madani, Kivan Samimi Behbani, Said Matinpour,Hamidreza Moradi ,Afshin Karampour et Mohammad Reza Pourshajari. Tous souffrent de plusieurs maladies. Malgré l’urgence des soins nécessaires, qui ne peuvent être dispensés qu’à l’extérieur de la prison, les responsables pénitentiaires et la justice n’autorisent pas le transfert des malades vers les hôpitaux, ceci en dépit de préconisations des médecins de la prison et du règlement intérieur pénitenciaire, mis en place par l’instance juridique en charge de la gestion des lieux de détention,.
En détention arbitraire depuis 1000 jours
Le 11 novembre 2013 a marqué le 1000ème jour de détention de Mehdi Karoubi, propriétaire du journal suspendu Etemad Melli et ancien président du Parlement, de Mir Hossein Mousavi, propriétaire du journal suspendu Kalameh Sabaz, et de sa femme, l’écrivain Zahra Rahnavard placés en résidence surveillée depuis février 2011. Ils sont depuis lors privés de tous leurs droits. Le 31 juillet 2013, Mehdi Karoubi a été transféré vers un lieu de détention secret, après une opération d’angioplastie à l’hôpital de Téhéran. Sa famille a déclaré que le théologien dissident, âgé de 77 ans, avait été hospitalisé trois fois depuis le mois d’août, suite à plusieurs malaises, notamment cardiaques. Il souffre également d’une hernie discale et d’arthrose au genou. Quant à Mir Hossein Mousavi, il avait aussi été hospitalisé plusieurs fois à Téhéran, en août 2012 et en septembre 2013 suite à un malaise cardiaque.
Menaces contre les journalistes à l’intérieur du pays comme à l'étranger
La répression et les menaces contre les professionnels de l’information n’ont pas cessé. Le ministère des Renseignements continue de faire pression sur les familles de plusieurs journalistes travaillant pour des médias basés à l’étranger. Depuis le mois de juin 2013, les familles de plusieurs journalistes travaillant pour des médias internationaux, tels que Radio Farda (Free Europe) ou Voice of America, ont été convoquées et longuement interrogées par les agents du ministère. Dans le même temps, des journalistes iraniens ont aussi été convoqués par le ministre des Renseignements et les Gardiens de la révolution. “Ne croyez pas à une révolution. C'était une élection qui s'inscrivait dans le cadre du régime. Vous avez voté et c'est fini. Vous êtes toujours sous contrôle et surveillé. Pas d'article critique même classé dans les genres artistique ou historique. Pas de réunions..” rappelle, sous couvert d’anonymat, un journaliste récemment convoqué et interrogé.
Mettre fin à l’impunité?
Reporters sans frontières s’est exprimée dans une lettre ouverte à Hassan Rohani, le 18 juin 2013 : “Monsieur Rohani, vous êtes aujourd’hui le septième président de la République islamique, élu grâce au soutien massif des réformateurs et des progressistes iraniens. Vous engagez-vous à mettre fin au règne de l’arbitraire et de l’impunité ? Ne doivent pas rester impunis les assassinats de journalistes dissidents, quinze ans après leurs assassinats, tels que Ebrahim Zalzadeh, Majid Charif, Mohamad Mokhtari, Mohamad Jafar Pouyandeh et Pirouz Davani, exécutés par des agents du ministère des Renseignements, entre novembre et décembre 1998; ne sauraient non plus rester impunies la mort en détention de Zahra Kazemi (2003) et celles d’Ayfer Serçe (2006), du jeune blogueur Omidreza Mirsayafi, Alireza Eftekhari (2009), Haleh Sahabi, journaliste et activiste des droits des femmes et d’Hoda Saber, journaliste d’Iran-e-Farda (2011) ou bien de Sattar Beheshti (2012). Les auteurs et les commanditaires de ces crimes doivent être traduits en justice.”
Les 100 premiers jours du présidant Hassan Rohani au pouvoir coïncident avec le premièr anniversaire de la mort du blogueur Sattar Beheshti, le 3 novembre 2012, tué en détention, dans un centre de la cyberpolice iranienne (la FTA). Après un an de difficultés procédurales, une première audience devait se tenir le 27 octobre 2013, mais a été reportée à une date inconnue. Aujourd’hui, ses tortionnaires bénéficient d'une impunité totale. Dans une lettre ouverte au président Hassan Rohani, publiée sur le site d’information Sahamnews le 4 novembre 2013, la mère de Sattar Beheshti avait nommé le tortionnaire de son fils et confirmé que son “fils a été tué sous la torture par Akbar Taghizadeh, un officier de la police de la cyberpolice iranienne (la FTA). Pendant un an je croyais que l’assassin de mon fils serait puni par la justice de la République islamique. Je demande que vous respectiez vos engagements s’agissant de l’application de la constitution et du respect des droits des citoyens”. Selon les informations recueillies par Reporters sans frontières, le blogueur est mort à la suite des coups reçus et d’une hémorragie cérébrale et interne.
La justice iranienne exerce toujours des pressions sur la famille et l'avocat pour qu’elles acceptent la requisition du parquet pour “homicide involontaire par accident et par négligence”. L’avocat de la famille, Me Ghiti Pourfazel, a dénoncé dans une lettre ouverte au président Rohani une justice freinant de toutes ses forces la manifestation de la vérité : “Pour que la plainte soit retirée, ils ont intimidé la mère en la menaçant d’arrêter sa fille, puis ont exercé une pression psychologique sur le père. Alors que ces tentatives ont échoué et bien que nous savons que Sattar a été tué par un officier, depuis huit mois, l’investigation est au point mort“, avait alors écrit Me Pourfazel.
Internet ouvert pour le gouvernement , filtré pour le peuple.
Les seuls changements notables qui ont eu lieu pendant ces 100 jours ont trait aux activités des comptes Twitter et Facebook du Président de la République et de certains de ses ministres ainsi que la fin de la déclaration trimestrielle des autorités sur le lancement d'un «Internet halal» (national). Malgré tout, l'instauration de ce projet qui vise à imposer un véritable “apartheid digital” n'a pas été abandonnée.
Lorsque Jack Dorsey, le patron et cofondateur de Twitter a posé la question quelque peu provocatrice : “Bonsoir Président. Les citoyens d'Iran peuvent-ils lire vos tweets?”, Rohani avait répondu "'Bonsoir, Jack. (…) Mes efforts sont destinés à ce que mon peuple puisse avoir confortablement accès à l'information globale, comme il en a le droit”. Mais sauf pour Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères, et certains proches du régime, les réseaux sociaux sont toujours interdits en Iran. Pour y accéder, les Iraniens doivent se connecter via un réseau privé virtuel (Virtual Private Network - VPN).
Le 15 novembre 2013, Mahmoud Vaezi, le ministre de l’Information et des Technologies (ITC), a encore déclaré que : “les sites immoraux ne doivent pas être accessibles aux familles, mais le filtrage des sites scientifiques et corrects peut être levé”. Ce discours n'est pas nouveau. C’est la répétition de celui de l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad. L’Iran, qualifié depuis des années “d’Ennemi d’Internet” par Reporters sans fronitères, demeure un pays très répressif s’agissant d’Internet et des net-citoyens. La censure, officiellement destinée à protéger la population contre des contenus immoraux s’est en réalité étendue aux informations politiques. Il est d’ailleurs aujourd’hui plus facile d’accéder à des sites pornographiques qu’à des publications critiques censurées sur le Net iranien.
Les cyberattaques continuent
Selon des informations recueillies par Reporters sans frontières, pendant les mois de septembre et octobre, une centaine de comptes emails d’internautes iraniens, pour la plupart des journalistes ou des activistes politiques, ont été attaqués. Les autorités iraniennes continuent de fomenter des attaques de type man-in-the-middle afin d’intercepter les données envoyées lors de l’accès à des sites web sécurisés en https.
Publié le
Updated on
20.01.2016