Égypte : La chasse aux “journalistes verts” n'est pas la priorité, mais en période de COP 27, cela risque de changer
Le climat ne figure pas parmi les priorités du gouvernement égyptien, d’où une relative “tolérance répressive” pour les journalistes environnementaux. Avec la COP 27, qui se déroule dans le pays du 6 au 18 novembre, ils risquent de devenir de nouvelles cibles, alerte Reporters sans frontières (RSF).
“Si l'Égypte prend le climat au sérieux, si elle se soucie de la vie sur la planète, elle doit le prouver en libérant les 23 journalistes emprisonnés, déclare le responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF), Jonathan Dagher. Ce sont les journalistes et en particulier les journalistes environnementaux, qui jugeront si le pays tient ses promesses de la COP 27."
Interdiction de filmer, surveillance, détention, emprisonnement, campagnes de dénigrement, meurtres… C’est la liste non-exhaustive des mesures répressives qui visent les journalistes au pays du président Abdel Fattah Al-Sissi, quelle que soit leur spécialisation. Pourtant, si la plupart des sujets traités par les reporters sont susceptibles de provoquer l’ire des autorités égyptiennes, jusqu’ici le climat n'en faisait pas partie. Loin d’être un signe encourageant, c'était jusqu’ici un indicateur du peu d’attention que le gouvernement porte à l'environnement. Cependant, cette situation pourrait radicalement changer pour cause de COP 27, qui se déroule dans le pays du 6 au 18 novembre, à Charm el-Cheikh, sur les bords de la mer Rouge.
Plusieurs journalistes environnementaux contactés par RSF craignent que la transformation du sujet climatique en une question de politique nationale liée aux revenus du pays, n'attire l'attention du pouvoir sur leur travail.
Des signes de crispation sécuritaire accrue
"Le climat va devenir un sujet politique aux yeux de l'État, explique à RSF Nada Barakat, journaliste spécialiste de l'environnement, de l'agriculture et de la sécurité alimentaire pour le journal en ligne Mada Masr. Si des journalistes climatiques comme nous disent la vérité, à savoir que notre gouvernement détruit l'environnement, nous allons devenir des obstacles."
Le gouvernement du maréchal Al-Sissi à la sinistre réputation de réduire au silence les journalistes qui lui demandent des comptes. En cette période de conférence internationale, les signes de crispation sécuritaire accrue sont perceptibles.
Ce 1er novembre, la police a arrêté la journaliste Manal Ajrameh pour avoir rédigé un post critique dans un groupe privé sur Facebook, juste avant la COP. Manal Ajrameh n’est pas spécialisée dans les questions environnementales. Cependant, son arrestation quelques jours avant l’ouverture de la COP 27 – alors que la pression internationale s'intensifie pour faire libérer les 23 reporters emprisonnés – peut être interprétée comme un signe alarmant.
Au Caire comme à Charm el-Cheikh, où les dirigeants du monde se réuniront, des policiers en civil arrêtent les gens dans la rue, fouillent leurs téléphones et scrutent leurs messages privés à la recherche d'indices de dissidence.
Le message de la présidence et du gouvernement est clair : les journalistes ne doivent pas compter sur la COP 27 pour faire entendre leur voix, bien au contraire.
Le travail de plus en plus difficile de journaliste environnemental
Outre la surveillance omniprésente et le risque permanent d'emprisonnement, les journalistes qui travaillent sur l’environnement se retrouvent quotidiennement en difficulté dans leur collecte d’informations sur le terrain.
"Les journalistes travaillant sur la manière dont le regime maltraite l'environnement ont toujours été confrontés à la répression", raconte à RSF Ariane Lavrilleux, journaliste ayant couvert l'Égypte pour différents médias. "La différence est qu'avec la COP, cette répression devient plus visible. La situation se dégrade de jour en jour."
Exemple grotesque d’entrave à l'exercice au métier de “journaliste vert” : comment prendre des photos pour une enquête sur la pollution sans risquer d’être arrêté par la police ? Se faire passer pour… un touriste !
Autre illustration : le “mur de silence” opposé par tous les représentants officiels, notamment administratifs, aux journalistes chargés des questions environnementales, sur ordres explicites des autorités. Cela s'applique notamment aux porte-parole des ministères les plus directement concernés par la préservation de la nature ou l’exploitation des ressources naturelles.
Constat également préoccupant : la “pagaille”, pour ne pas dire le “néant statistique”.
En Égypte, les données sur des sujets liés à l'environnement sont difficiles à trouver. Lorsqu'elles sont disponibles, ce qui est rare, elles sont peu fiables et souvent contradictoires.
Comment continuer à être “journaliste vert” de plein exercice dans un tel contexte, sur fond de répression violente et systématique ? La question se pose.
Actuellement, 23 journalistes sont derrière les barreaux dans le pays, ce qui classe l’Égypte au 4e rang des plus grandes prisons pour les professionnels des médias au Moyen-Orient et au 8e dans le monde.