Quel avenir pour les médias burundais au lendemain de la présidentielle ?
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Alors que le régime du président Nkurunziza a achevé son coup de force et mené tant bien que mal le pays aux élections, les médias burundais restent réduits au silence. Reporters sans frontières (RSF) demande la réouverture rapide et sans conditions des médias et des garanties de sécurité permettant le retour des journalistes qui ont dû fuir leur pays.
Les élections burundaises se sont tenues dans un black-out d'information voulu et maintenu par le régime du président Nkurunziza. Ainsi les électeurs burundais qui se sont rendus aux urnes (entre 40 et 80% selon les médias publiques, beaucoup moins selon les observateurs sur place) ont dû le faire dans un contexte d'information partiale et partielle, les médias audiovisuels privés du pays n'ayant pas été autorisés à émettre de nouveau avant le déroulement du scrutin.
Aucune avancée dans l'enquête judiciaire
Les quatre principales radios privées : Isanganiro FM, RPA, Bonesha FM et Radio-télé Renaissance continuent en effet d’être fermées, officiellement sous le coup d’une enquête sur les violences dont elles ont été victimes lors de la tentative avortée de putsch du 14 mai 2015. Officiellement, ces fermetures visent à préserver les éléments d'une enquête ouverte par le procureur de la République au lendemain des violences. Mais depuis plus de deux mois que cette enquête est en cours, aucune avancée ne s'est matérialisée, aucune conclusion n'a été rendue.
“Nous demandons à la justice burundaise d'accélérer le déroulement de l'enquête, si tant est qu'elle est amorcée, et de rendre ses conclusions le plus rapidement possible, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF. La priorité du gouvernement burundais doit être la réouverture sine die des médias privés, essentiels à un paysage politique pluriel et démocratique"
Des médias sous pression
De l'avis des observateurs internationaux, les élections n'ont pas satisfait aux exigences de transparence nécessaires à un processus démocratique légitime. Les Nations unies ont déploré un scrutin qui n'était pas "libre, crédible et inclusif". John Kerry, secrétaire d’Etat américain, a pour sa part qualifié l’élection de "profondément imparfaite"; l'Union européenne avait, elle, retiré son soutien au processus électoral depuis avril 2015.
Les médias qui ont tenté malgré tout de rapporter sur le scrutin présidentiel ont été soumis à des pressions. Le porte-parole de la présidence Willy Nyamitwe a dénoncé un article “tendancieux” paru sur France 24 après que la chaîne française avait titré "Faible participation, violences, critiques : la présidentielle au Burundi en trompe personne". Le médias avait alors modifié le titre de son article (resté inchangé sur le fond). Une précaution compréhensible pour la chaîne qui parle d'une "nervosité qui pouvait laisser penser que la sécurité de ses envoyés spéciaux était compromise". Début juin déjà, leur envoyé spécial avait dû quitter le pays précipitamment après que son accréditation lui a été brusquement retirée.
Si ce type de méthodes est utilisé envers les médias internationaux, on ne peut qu'imaginer ce qu'endurent les médias burundais qui tentent de travailler.
Ces derniers continuent d'être soumis à une pression constante qui les force à un arbitrage frôlant l'autocensure. Les médias qui travaillent souhaitent le faire avec la plus grande discrétion. Certains, comme Iwacu, continuent de collecter des informations et de poster en ligne mais avec beaucoup de prudence. D'autres préfèrent que nous n'évoquions pas leurs activités pour ne pas attirer l'attention. Leurs reportages en ligne visent davantage à informer la diaspora ou à constituer un recueil de preuves et de témoignages sur ce qui s'est passé dans les semaines avant l'élection, par exemple une documentation des violences policières.
Il y a quelques jours, la radio communautaire Humuriza FM, basée à Gitega, et suspendue depuis mai alors qu’elle n’avait pourtant pas fait l’objet de violences, a été autorisée à rouvrir par ordre du procureur de la République, sans qu'aucune informations relative à l'enquête en cours n'ait été rendue publique. Néanmoins, la radio n'a toujours pas repris, les autorités locales de Gitega refusant d’accorder au propriétaire l'autorisation d’émettre à nouveau. Par ailleurs, la radio fonctionnait essentiellement grâce à un partenariat avec le journal privé Iwacu, qui s’est illustré par sa couverture sans faille du processus menant à l’élection. Or, les autorités, en tout arbitraire, interdisent également au média de continuer ce partenariat.
Depuis juin, sur ordre du procureur, le studio de radio de l'association des radios diffuseurs burundais a été autorisé à rouvrir mais en sont exclus tous les personnels des radios privées, à l'exception de Radio Rema, voix du pouvoir.
En attendant, les médias burundais s'affaiblissent de jour en jour. Outre, les dizaines de journalistes qui ont fui le pays et vivent dans des conditions extrêmement précaires, ceux qui sont restés sur place n'ont plus de moyens de subsistance. Les radios, si elles continuent à ne pas émettre, risquent la fermeture définitive d'autant plus que l'aide internationale a été suspendue depuis leur fermeture.
Des garanties de sécurité insuffisantes pour revenir
Une web radio en exil s'est créée récemment sous le nom d’Inzamba. Regroupant des journalistes exilés, elle diffuse des journaux d'information deux heures tous les soirs.
Selon ses journalistes, la radio fait déjà l’objet d’attaques. Son site a essuyé des tentatives de piratage et un site parallèle diffusant le logo supposé de la radio a été créé pour faire de la désinformation.
Si cette radio en exil peut être une bonne chose pour l'information au Burundi, elle ne va pas sans susciter des frayeurs parmi les journalistes restés au pays qui craignent d'être accusés de contribuer à l'information de cette radio.
Quant à ceux qui ont quitté le pays, ils n’envisagent pas pour l’instant de revenir, estimant que les garanties pour leur sécurité ne sont pas réunies.
« Un policier m'a vu en train de le prendre en photo, alors qu’il violentait un manifestant pendant les évènements de mai. Depuis il me recherche. J'ai fui. Mais quelques jours après, mon petit frère a été agressé par des hommes armés de machettes qui me recherchaient. Il a été grièvement blessé à la tête et est toujours hospitalisé. Je ne peux pas retourner au pays maintenant", expliquait l’un de ces journalistes.
Pour plus d'informations concernant les médias dans la crise burundaise, cliquez ici.
Photo credit: Policeman voting (LANDRY NSHIMIYE / AFP)
Comptage des voix à Kamenge (CARL DE SOUZA / AFP)
Publié le
Updated on
20.01.2016