Prix RSF 2021 : la journaliste chinoise Zhang Zhan, la palestinienne Majdoleen Hassona et le “projet Pegasus” récompensés
Le prix Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse 2021 a été décerné à la journaliste chinoise Zhang Zhan (catégorie courage), au “projet Pegasus” (catégorie impact) et à la journaliste palestinienne Majdoleen Hassona (catégorie indépendance).
Chaque année, le prix RSF “pour la liberté de la presse” distingue le travail d’un(e) journaliste ou d’un média ayant contribué de manière notable à la défense ou à la promotion de la liberté de la presse dans le monde. La 29e édition, dont le palmarès est rendu public ce jeudi 18 novembre, honore trois lauréats dans trois catégories différentes, relatives au courage, à l’impact et à l’indépendance des lauréats. Six journalistes et six médias ou organisations de journalistes, originaires de 11 pays avaient été nominés.
Le prix du courage 2021, qui vise à soutenir et saluer les journalistes, médias ou ONG ayant fait preuve de courage dans la pratique, la défense ou la promotion du journalisme, a été décerné à la journaliste chinoise Zhang Zhan.
En dépit des menaces constantes des autorités, cette avocate devenue journaliste a couvert l’épidémie de Covid-19 dans la ville de Wuhan en février 2020. Elle a diffusé en direct sur les réseaux sociaux des images des rues, des hôpitaux et des familles de malades. Ses reportages au cœur du premier épicentre du coronavirus ont constitué l’une des principales sources d’information indépendante sur la situation sanitaire de la région. Arrêtée en mai, détenue au secret, et sans motif officiel pendant plusieurs mois, Zhang Zhan a été condamnée le 28 décembre 2020 à quatre ans de prison officiellement pour avoir « attisé des querelles et provoqué des troubles ». Pour protester contre cette injustice et les mauvais traitements subis, la journaliste a entrepris une grève de la faim qui lui a valu d’être entravée et nourrie de force par une sonde. Ses proches craignent aujourd’hui pour sa vie. Son état de santé s’est gravement détérioré ces dernières semaines.
Le prix de l'impact 2021, qui vise à récompenser les journalistes, médias ou ONG ayant contribué à des améliorations évidentes en matière de liberté journalistique, d'indépendance et de pluralisme, ou à une prise de conscience accrue de ces questions, a été décerné au projet Pegasus.
Le Pegasus Project est une enquête publiée par un consortium international de plus de 80 journalistes issus de 17 médias* de 11 pays différents, coordonné par l’organisation Forbidden Stories, avec l’appui technique des experts du Security Lab d’Amnesty International. Sur la base d’une fuite de plus de 50 000 numéros de téléphone, cette enquête a notamment révélé comment près de 200 journalistes avaient été espionnés par des régimes autocratiques, mais aussi démocratiques. Pegasus Project a fait prendre conscience de l’ampleur de la surveillance dont pouvaient être l’objet les journalistes. Elle a conduit RSF ainsi que de nombreux médias à porter plainte et à demander un moratoire sur ces technologies de surveillance.
*(Aristegui Noticias, Daraj, Die Zeit, Direkt 36, Knack, Forbidden Stories, Haaretz, Le Monde, Organized Crime and Corruption Reporting Project, Proceso, PBS Frontline, Radio France, Le Soir, Süddeutsche Zeitung, The Guardian, The Washington Post et The Wire)
Le prix de l'indépendance 2021, qui vise à récompenser les journalistes, médias ou ONG ayant résisté de manière remarquable aux pressions financières, politiques, économiques ou religieuses, a été décerné à la journaliste palestinienne Majdoleen Hassona.
Avant de rejoindre la chaîne turque TRT et de s’établir à Istanbul, cette journaliste palestinienne a été régulièrement poursuivie et harcelée aussi bien par les autorités israéliennes que palestiniennes pour ses publications critiques. En août 2019, alors qu’elle était revenue en Cisjordanie fêter l’Aïd avec son fiancé (également journaliste à TRT et basé en Turquie), elle est retenue à un checkpoint israélien et apprend qu’elle est visée par une interdiction de quitter le territoire émise par les services israéliens de renseignement “pour des raisons de sécurité”. La journaliste est bloquée depuis lors. Elle a décidé de continuer son travail sur place et a notamment couvert en juin 2021, les manifestations antigouvernementales qui ont suivi la mort de l’opposant Nizar Banat.
“Pour avoir bravé la censure et alerter le monde de la réalité d’une pandémie naissante, la lauréate de la catégorie “courage” est aujourd’hui emprisonnée et dans un état de santé extrêmement préoccupant, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Pour avoir fait preuve d’esprit critique et de persévérance, la lauréate de la catégorie “indépendance” ne peut plus, depuis deux ans, quitter le territoire israélien. Pour avoir révélé l’ampleur de la surveillance dont pouvaient faire l’objet les journalistes, des confrères, lauréats dans la catégorie “impact”, sont aujourd’hui poursuivis en justice par des Etats. C’est malheureusement un condensé de la situation du journalisme aujourd’hui. Les lauréats du prix RSF incarnent les plus nobles qualités du journalisme et en payent aussi le prix fort. Ils méritent non seulement notre admiration, mais aussi tout notre soutien.”
Le jury de cette 29e édition, avec à sa tête le président de RSF, Pierre Haski, était composé d’éminents journalistes ou de défenseurs de la liberté d’expression du monde entier : Rana Ayyub (chroniqueuse indienne au Washington Post), Raphaëlle Bacqué (grand reporter française au journal Le Monde); Mazen Darwish (avocat syrien et président du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression) ; Zaina Erhaim (journaliste syrienne et consultante en communication) ; Erick Kabendera (journaliste d'investigation tanzanien) ; Hamid Mir (rédacteur en chef, chroniqueur et écrivain pakistanais) ; Frederik Obermaier (journaliste d'investigation allemand pour le journal Süddeutsche Zeitung) ; Mikhail Zygar (journaliste russe et fondateur de la seule chaîne de télévision indépendante russe, Dozhd).
Créé en 1992, ce prix prestigieux a par exemple été attribué, au fil des années, à des journalistes ou des médias tels que la Russe Elena Milashina (Prix du Courage 2020), le Saoudien Raif Badawi (catégorie Net citoyen 2014) ou encore le Chinois lauréat du prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo,( catégorie Défenseur de la liberté de la presse 2004).