Arménie : RSF déplore la multiplication des poursuites judiciaires contre la presse
Insultes, diffamation, atteinte à la protection des sources : les journalistes arméniens subissent un harcèlement judiciaire grandissant malgré la révolution du printemps 2018. Reporters sans frontières (RSF) s’alarme de cette pression inquiétante sur les médias en Arménie.
Elle s’était contentée d’exprimer une opinion sur une plateforme informelle, mais la justice arménienne en a décidé autrement. La journaliste Sona Haroutiounian, qui travaille pour le média 1in.am, a dû démentir sur Facebook, le 31 janvier 2020, un post dans lequel elle attribuait la propriété du média d’opposition News.am à l’ex-président Robert Kotcharian. La cour d’appel a estimé que la journaliste aurait dû « citer sa source » et « vérifier les faits ». De nombreux médias avaient pourtant déjà relayés la rumeur - jamais démentie - sans autre conséquence. Jusqu’à présent, seul le journal pro-gouvernemental Haykakan Jamanak, appartenant à la famille du premier ministre, avait lui aussi été visé par des poursuites.
Autre exemple de pression : la rédactrice en chef du quotidien Joghovourd, Qnar Manoukian, a fait l’objet d’une procédure pénale pour avoir refusé de partager ses sources. Ce journal ainsi que le site d’information ArmLur.am ont signalé quatre tentatives du parquet et des services secrets d’obtenir des informations sensibles rien qu’au cours de l’année 2019. De plus en plus de journalistes sont convoqués pour témoigner sur les affaires qu’ils ont couvertes. L’article 5 de la loi sur les médias est pourtant censé assurer la confidentialité des sources journalistiques.
« La multiplication des poursuites contre les journalistes arméniens est une tendance inquiétante, estime la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. La justice est instrumentalisée dans les conflits partisans. Ces ‘procédures bâillons’ entravent le travail des médias, contraints d’y consacrer d’importantes ressources. Afin d’éviter la criminalisation du métier de journaliste, nous recommandons aux autorités de promouvoir les solutions extrajudiciaires existantes pour résoudre les conflits. »
Onze accusations simultanées contre le Hraparak daily pour insultes et diffamation, six poursuites contre les journaux Haykakan Jamanak et Aravot daily, huit procédures lancées contre des médias par un seul député, Haïk Sargsian, le même jour, en octobre 2019… Depuis la révolution de mai 2018, les violences contre les journalistes pendant les manifestations ont laissé place à un acharnement judiciaire, dans un contexte politique de plus en plus polarisé.
Le nombre de poursuites pour diffamation ou insultes (article 1087.1 du code civil) a triplé en quatre ans. Le département de la justice arménien recense 74 cas en 2019, contre 24 en 2016. Médias et journalistes sont le plus souvent poursuivis par des hommes politiques, des hommes d’affaires et parfois d’autres médias. Les dommages et intérêts peuvent aller jusqu’à deux millions de drams (environ 4000 euros).
Or, des alternatives existent en cas de litige : des organisations telles que le Media Ethics Observatory, créé en 2007 à l’initiative du Yerevan Press Club, ou l’Information Disputes Council peuvent agir comme médiateurs.
Après la révolution, l’Arménie est passée de la 80e place en 2018 à la 61e place en 2019 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF. Les pressions judiciaires contre les journalistes menacent d’affaiblir sa position.